Martin Dubé, Yannick (Cobayes -3)
Martin Dubé
Yannick (CobaYes)
Boucherville, De Mortagne, 2015, 320 pages
Dans le précédent numéro de Solaris, je vous parlais de Anita et de Sarah et Sid, les deux premiers tomes de la série d’horreur Cobayes. J’en profite ici pour vous rappeler qu’il y aura sept livres en tout (signés par Marilou Addison, Eve Patenaude, Martin Dubé, Carl Rocheleau, Madeleine Robitaille, Alain Chaperon et Marc-André Pilon) et que chacun peut se lire de façon indépendante, malgré les liens qui existent entre eux. J’y écrivais qu’un des aspects intéressants de cette série est sans nul doute le fait que chaque histoire est très différente des autres, pour éviter une redondance. Après tout, l’horreur peut vite devenir fade lorsqu’on y est trop longtemps exposé (oui, même – et surtout – pour un fan d’épouvante comme moi !). Si le premier livre dégoulinait de gore et que le deuxième fouillait plus l’aspect psychologique des personnages, qu’en est-il du troisième ?
Yannick est l’histoire d’un bon gars, de l’ami qu’on aimerait avoir à nos côtés quand ça va mal. Yannick fait toujours passer les besoins des autres avant les siens. Et pas seulement ceux de son ami Lucien ou de sa voisine Marguerite… Non, les problèmes de toutes et tous pèsent sur ses épaules. Une femme laisse échapper ses dossiers qui s’envolent dans le vent ? Un étranger a besoin d’argent pour payer son billet d’autobus ? Yannick les aide même si ces nombreux actes de générosité le mettent en retard à son travail. Voilà que sa sœur Myriam a besoin d’un gros montant pour une opération qui sauvera la vie de son fils… Yannick n’a pas cet argent… mais pourrait l’avoir en participant à l’étude clinique d’AlphaLab. Quelle chance ! Du moins, le croit-il… Dès la première injection du mystérieux médicament testé par la compagnie, Yannick commence à changer. Il se montre de moins en moins aimable ou patient… Qui est cet être égocentrique ? Les gens autour de lui peinent à le reconnaître ; il a de plus en plus de mal à contrôler sa colère. Mais le pire, ce sont les affreuses visions qui l’assaillent, des visions d’une violence inouïe !
Si je débute cette critique avec la principale faille de Yannick, c’est pour répondre à la question de ce qui différencie ce troisième tome des deux premiers : l’humour. Alors que le résumé du livre ne dit rien de la présence d’humour noir, il est très – trop – présent. Quelques comparaisons loufoques ou blagues bien placées auraient détendu l’atmosphère avant la descente aux enfers de Yannick, j’en conviens. Mais là, c’est quasiment de la première à la dernière page : ça a considérablement amoindri mon plaisir de lecture. Sans cet humour imposé qui étouffe plusieurs scènes, j’aurais adoré ce roman. Certains chapitres plus courts sont écrits à la troisième personne plutôt qu’à la première (le Je comique) : ce sont les moments les plus intéressants de l’histoire, car l’auteur nous fait vivre (avec talent) les effets secondaires de Yannick, de façon sobre et plus dramatique.
Sinon, l’évolution progressive de l’histoire vers l’horreur est efficace. La vie de cet homme généreux qui, au fil des injections et des visions de plus en plus macabres, se transforme en un monstre d’égocentrisme. Sa relation avec les autres (amis, collègues de travail) est bien présentée. Yannick ne veut que le bonheur de ses semblables et c’est la grande force de cette intrigue : cette gentillesse obsessive qui le dirige, jusqu’à ce qu’il change et soit dévoré par la guerre intérieure entre ce qu’il était et ce qu’il devient, entre le bien et le mal, entre ses valeurs et ses propres envies qui reviennent en force après avoir été mises de côté pendant trop d’années.
C’est d’ailleurs un élément à souligner dans les trois tomes de la série : même sans les injections de l’obscur médicament, l’histoire fonctionnerait. Par exemple, dans Anita, le corps d’une femme anorexique décide de se rebeller et de la faire manger malgré elle. Ça marcherait tout aussi bien sans le côté injections. Et c’est dans ces moments que l’horreur, en tant que genre, est la plus troublante : les personnages sont déjà blessés émotivement, ils ont déjà des problèmes qui menacent de s’aggraver, qui peuvent s’aggraver avant même que l’aiguille pénètre dans leur bras… Ça donne des romans plus riches que si l’épouvante vient seulement du dehors (ce n’est pas de ma faute, ce sont les autres qui sont méchants…).
En tout cas, j’ai bien hâte de découvrir le prochain patient d’AlphaLab, un certain Benoît, sous la plume de Carl Rocheleau… Quels en seront les effets secondaires sur ce patient mais surtout sur nous ?
Jonathan REYNOLDS