Natasha Beaulieu, Le Secret du 16V (Fa)
Natasha Beaulieu
Le Secret du 16 V
Lévis, Alire (GF), 2014, 363 p.
Lilka Kaminski a douze ans lorsqu’elle croise le chemin de Vienna De Vey et de sa fantastique chevelure. Aussitôt, la jeune Lilka est envoûtée par les mèches blondes de Vienna, fascinée par la beauté froide de la jeune femme et submergée par sa personnalité dominante. Lilka se plie dès lors à tous les caprices de celle qu’elle appelle son amie, mais qui est plutôt sa maîtresse.
Lilka Kaminski est une femme mariée, mère d’une petite fille, lorsqu’une lettre anonyme l’informe de la mort de Vienna, décédée dans des circonstances nébuleuses. Les deux femmes ne se sont pas revues depuis des années, lorsque Vienna a quitté Montréal pour retourner à Amsterdam, sa ville d’origine. Cependant, elles ont entretenu une sulfureuse relation épistolaire. Guidée par ces lettres, Lilka décide de se rendre à Amsterdam pour élucider le mystère du décès de Vienna. Durant son enquête, Lilka découvre qu’elle n’est pas la seule à avoir été happée par la chevelure de Vienna. Ce blond filet a recouvert, à son insu, une bonne partie de son existence.
Dans Le Secret du 16 V, Natasha Beaulieu nous raconte en parallèle ces deux époques de la vie de Lilka, où la quête de jouissance fait écho à la quête de vérité. L’écriture à la première personne est immersive et efficace, même si le passé simple utilisé pour relater les épisodes passés peut étonner au premier abord (le passé composé aurait semblé plus naturel).
Le roman se réclame à la fois des genres fantastiques, policiers et érotiques. L’élément fantastique est à la fois central et discret. Central, car il s’agit de la chevelure de Vienna, cette crinière aux pouvoirs d’attraction et d’excitation extraordinaires. Discret, car si les pouvoirs de cette chevelure s’éloignent de la norme, ils ne modifient pas beaucoup la réalité des personnages. Ceux qui recherchent une histoire purement fantastique, dans la lignée de la série des Cités intérieures de la même auteure, seront donc déçus.
L’aspect policier du roman est introduit par la mort de Vienna et l’enquête de Lilka. Le précédent roman de Natasha Beaulieu, Regarde-moi, m’avait paru commencer lentement et manquer un peu de fil conducteur. Cette fois, les questions et investigations de Lilka confèrent dès le début du rythme et de la tension au récit. Malheureusement, cette tension est un peu gâchée lorsqu’on découvre que les personnages interrogés mentent ou livrent des demi-vérités pour des motifs parfois nébuleux, surtout destinés à étirer le suspense.
Le côté érotique est quant à lui assuré par le fétichisme de Lilka envers les cheveux de Vienna, ainsi que par la domination que Vienna exerce sur son amie et tous ceux qui croisent sa route. Cependant, la plupart des scènes sexuelles se passent « entre les chapitres » du roman, si je peux m’exprimer ainsi. Elles sont évoquées après coup par les personnages et rarement racontées explicitement. Ayant déjà lu, avec plaisir, des descriptions plutôt sulfureuses dans d’autres ouvrages de l’auteure, ce choix m’a surprise.
Fantastique timide, suspense mitigé et érotisme suggéré plutôt que ressenti, on pourrait croire que Le Secret du 16 V manque sa cible… et pourtant non. L’ensemble, même s’il risque de déplaire à quelqu’un qui s’y lancerait à l’aveuglette en recherchant un récit fortement ancré dans un genre ou un autre, est diablement efficace. L’alternance entre les deux époques de la vie de Lilka et les secrets dévoilés un à un nous gardent en haleine et nous poussent à tourner les pages. Comme si nous étions, nous aussi, pris au piège de la chevelure de Vienna…
Geneviève BLOUIN