Vic Verdier, L’Empire bleu sang (SF)
Vic Verdier
L’Empire bleu sang
Rosemère, Joey Cornu, 2014, 296 pages.
L’uchronie et le steampunk sont deux sous-genres de la science-fiction qui sont peu exploités au Québec, malgré certains exemples concluants dans l’un ou l’autre d’entre eux. Mais une uchronie steampunk ? Une telle hybridation peut sembler hasardeuse, à la fois à cause des codes respectifs de chaque genre, mais aussi à cause de l’apparente hétérogénéité de leurs motifs de prédilection. Pourtant, c’est ce défi que relève, avec brio, Vic Verdier dans son nouveau roman, L’Empire bleu sang. Verdier, pseudonyme de Simon-Pierre Pouliot a écrit trois romans avant celui-ci, mais il s’agit de sa première incursion dans les genres de l’imaginaire.
L’intrigue se déroule sur deux fronts, soit en 1887 et en 1987. Depuis qu’un important gisement de diamants bleus a été découvert dans le Cap Diamant à la fin du XVIIIe siècle, la ville de Québec s’est développée à une vitesse folle. En 1887, la Cité-État, première puissance mondiale et berceau des technologies les plus avancées, est le théâtre d’une lutte acharnée entre l’Église catholique et un agitateur se faisant appeler le Vrai Messie qui affirme que Québec est atteinte du Grand Mal. L’Église prend les grands moyens pour se débarrasser de l’importun, avec l’aide d’un savant aux méthodes peu orthodoxes, précurseur de l’hybridation génétique qui deviendra la norme au fil des ans. De retour en 1987, une jeune étudiante doit rendre un travail dans le cadre de son cours d’histoire et, au fil de ses recherches, elle sera amenée à revisiter les événements de 1887 qui ne se sont peut-être pas déroulés comme veulent le faire croire les livres d’histoires.
L’Empire bleu sang est également un roman choral, où s’entrecroisent plusieurs personnages, dont les différents points de vue constituent les chapitres du roman. C’est à travers eux que le lecteur est amené à reconstituer le casse-tête des événements de 1887 et à comprendre leurs conséquences sur ceux qui vivent en 1987. Mentionnons que le registre de langues varie selon le point de vue et que chaque narrateur, aussi secondaire soit-il, est approfondi et développé. Malgré l’abondance de personnages, le lecteur trouve rapidement ses repères et se laisse emporter par une intrigue enlevante, où les indices sont donnés au compte-gouttes et où le portrait d’ensemble ne fait sens qu’une fois la dernière page tournée. Il s’agit là d’un roman audacieux et ambitieux, puisque le tout se déroule en moins de 300 pages.
Verdier/Pouliot a relevé avec brio le défi posé par le mariage entre uchronie et steampunk, donnant à voir un monde largement dominé par la ville de Québec et ses importantes richesses, ainsi que les conséquences scientifiques du commerce diamantaire. Notons également la maîtrise de l’histoire du Québec démontrée par l’auteur, qui s’est permis de nombreuses mentions détournées à de grands personnages de l’histoire québécoise, tant religieux que politiques. Du côté des manipulations génétiques et des expériences d’hybridations, disons simplement que les remerciements à H. G. Wells et l’anagramme formée par le nom du docteur responsable du programme génétique québécien aiguilleront rapidement le lecteur qui connaît ses classiques, tout en lui réservant de solides surprises.
L’Empire bleu sang constitue sans contredit l’une des révélations majeures en littératures de l’imaginaire pour 2014. En proposant un mélange réussit d’uchronie et de steampunk et en donnant à lire une intrigue solidement construire et enlevante, Verdier captive le lecteur et ne lui laisse aucun répit. Il s’agit d’un auteur à surveiller, surtout s’il s’aventure de nouveau du côté de la science-fiction et de ses sous-genres.
Pierre-Alexandre BONIN