Ariane Gélinas, Les Cendres de Sedna (Fa)
Ariane Gélinas
Les Cendres de Sedna
Lévis, Alire (GF), 2016, 288 p.
Wilmard Boudreau aurait voulu être un artiste, comme sa tante. Mais après la mort tragique de celle-ci, ainsi que celle de sa mère et de son jeune frère, il quitte Berthierville avec son père, pour s’établir sur l’île de Kanty, dans l’archipel de Tête-à-la-Baleine, en Basse-Côte-Nord. Sa cousine Hypoline l’accompagne, et les deux jeunes gens se rapprochent de plus en plus. Pourtant, lorsque Hypoline découvre l’étrange squelette de ce qui semble être un homme-oiseau dans son jardin, leur destin bascule. Hypoline est approchée par Taliana et Adalie, les servantes du vieux Nayati, un vieil homme qu’on dit immortel. Elle est appelée à servir Sedna, la maîtresse des créatures marines et la fille de Nayati. Wilmard fait tout pour la détourner de cet étrange destin, mais lorsqu’elle disparaît, emportée par une immense baleine, Wilmard se lance à sa recherche, une quête qui aura des répercussions inattendues et dont l’aboutissement n’aura lieu que plus d’un siècle plus tard, avec de nouvelles forces et le descendant de ceux qui sont responsables de la colère de Sedna.
Pour ceux qui connaissent l’œuvre d’Ariane Gélinas, sa fascination pour le Nord, particulièrement québécois, n’est pas une surprise. On peut donc dire que Les Cendres de Sedna s’inscrit en continuité de L’Enfant sans visage et de sa trilogie des Villages assoupis. Pourtant, c’est un roman qui diffère de ses œuvres précédentes à plusieurs égards. D’abord, l’intrigue s’étale sur une longue durée, puisqu’elle débute en 1873 pour se terminer en 2015. Ensuite, l’imaginaire fantastique qu’elle déploie ici s’approche beaucoup plus de l’onirisme et du surréalisme que dans ses autres romans, particulièrement ceux de sa trilogie, où le fantastique venait troubler une réalité tangible.
Pour son nouveau roman, Gélinas manie encore une fois le langage comme une orfèvre qui crée un bijou complexe et somptueux. Les mots sont choisis avec soin, et le niveau de langue de la narration est souvent soutenu. Si on a parfois l’impression que le style presque baroque ralentit la lecture, il n’en reste pas moins un élément essentiel de l’œuvre. Quant aux personnages, ils semblent tout droit sortis de rêveries fiévreuses causées par une maladie inconnue ou encore l’ingestion d’une drogue puissante.
Lire un roman de Gélinas, c’est accepter de ressentir un malaise grandissant, un trouble des sens et de l’esprit, et l’effet est particulièrement efficace ici. À mesure que l’intrigue se déploie et que le lecteur évolue dans l’univers aux frontières troubles, un sentiment de claustrophobie et de désorientation s’installe, même si la très grande partie du roman se déroule dans la Basse-Côte-Nord, avec des repères géographiques facilement reconnaissables, même pour ceux qui n’y ont jamais été.
Bien que Les Cendres de Sedna ne soit pas un roman accessible à tous les lecteurs, en raison d’un certain hermétisme au niveau de la symbolique qui demande un effort constant de visualisation, il s’agit tout de même d’une œuvre forte et marquante. On ne peut s’empêcher de voir une filiation avec l’univers et la prose d’Esther Rochon. Il y a quelque chose des Chroniques infernales dans la décadence et la déliquescence mises en scène dans ce nouvel opus de Gélinas. On ressent le même trouble et la même recherche d’un univers personnel chez les deux auteures.
Les Cendres de Sedna constitue donc un jalon important dans la carrière d’Ariane Gélinas, parce qu’il lève le voile sur un nouveau territoire de l’imaginaire d’une auteure à la plume raffinée qui n’a pas fini de nous surprendre. Vraiment, il s’agit d’une auteure à surveiller et ce premier roman aux éditions Alire en est la preuve éclatante.
Pierre-Alexandre BONIN