Collectif, Écorché (Hy)
Ariane Gélinas, Pierre-Luc Lafrance et Jonathan Reynolds
Écorché
Québec, La Maison des viscères, 2015, 102 p.
Petit à petit, La Maison des viscères fait son chemin et nous offre, à chaque recueil, des œuvres aux qualités indéniables. Écorché, quatrième ouvrage de la maison d’édition, rassemble, comme les recueils précédemment publiés, trois textes d’horreur bien différents, mais où un thème en particulier est exploité. Le titre du recueil ne pourrait d’ailleurs être plus juste : au cœur des nouvelles proposées, nous suivons la descente aux enfers de personnages tourmentés, des écorchés qui ne savent plus comment s’en sortir.
La première nouvelle, « Rydia avec un “L” » de Jonathan Reynolds, s’éloigne du gore que l’on retrouve, en règle générale, dans ce type de textes au profit d’une plongée cauchemardesque dans la psyché de personnages troublés. Dans cette nouvelle, Armand, un sculpteur, rencontre une cosplayeuse qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Rydia, un personnage du jeu Final Fantasy II. Plus incroyable encore, la jeune femme se nomme Lydia. Mais la rencontre, au départ amicale, prendra vite une tournure un peu plus perverse. Dans ce texte où l’horreur s’avère davantage psychologique que graphique, Reynolds joue habilement avec nos nerfs. L’alternance entre les points de vue des deux personnages participe à l’immersion du lecteur et la réflexion sur la technologie, sans être trop appuyée, est bienvenue là où on ne l’attendait pas vraiment.
La nouvelle d’Ariane Gélinas, « La Frontière dorée », contraste en comparaison des deux autres textes à cause de son décor, mais n’en est pas moins pertinente. À une époque aujourd’hui révolue, un cavalier du nom de Chester découvre un village en plein désert. L’angoisse s’empare de lui lorsqu’il s’aperçoit que l’endroit où il vient d’atterrir n’est peuplé que de cadavres recouverts d’une poussière dorée. Pourtant, Chester n’est pas au bout de ses peines… Dans cette nouvelle, on reconnaît dès les premiers mots la marque si singulière de Gélinas : un style langoureux, des personnages complexes et une fin mystérieuse qui appelle la relecture. Le mariage entre le western et l’horreur est parfaitement réalisé, surtout étant donné que l’horreur se trouve davantage dans l’ambiance et la métaphore. C’est savoureux, c’est subtil, bref, on en redemande !
La nouvelle de Pierre-Luc Lafrance, « Ce n’est pas un conte de fées », possède pour sa part une narration atypique : nous suivons à la fois les souvenirs d’un meurtrier, que l’on essaie de réhabiliter, et les commentaires en temps réel des scientifiques qui remplacent par des contes de fées la mémoire de l’homme. Bien vite, les personnages se rendent compte que de modifier la mémoire ne s’avère pas une tâche aisée et qu’elle engendre nombre de conséquences désastreuses… La double voix narrative permet ainsi une habile progression de l’horreur. Ce texte s’avère d’ailleurs le plus violent sur le plan graphique, mais, encore une fois, l’histoire verse davantage dans le psychologique que dans l’épandage de tripes pur et simple. La nouvelle de Lafrance renferme une subtile critique sociale et une plongée maîtrisée et juste dans la psyché d’un meurtrier, plongée qui atteint son paroxysme dans une fin amère, mais en parfaite adéquation avec le ton du texte.
Pour sa quatrième livraison d’horreur, La Maison des viscères prouve de nouveau qu’il est possible d’offrir des textes d’horreur pertinents, où la réflexion sociale n’est jamais bien loin, et écrits par des auteurs de talent. C’est d’autant plus dommage de constater que ce genre littéraire se fait si peu présent au sein de la littérature québécoise, raison pour laquelle il est important de souligner les excellentes fictions d’horreur made in Québec.
Mathieu ARÈS