Collectif, Les Murmurantes (Fa)
Collectif
Les Murmurantes
Sherbrooke, Les Six Brumes (Frontières), 2016, 300 p.
Avec Les Murmurantes, Les Six brumes nous offre un collectif où, tour à tour, six auteurs provenant de la Mauricie nous font découvrir leur univers, qui plus est de façon très personnelle. Et ce qui frappe, à la fin de notre lecture, c’est à quel point la cohésion de l’ouvrage, autant sur le plan du contenu que sur celui du contenant, a été calculée afin d’offrir aux lecteurs une expérience unique.
L’ouvrage commence en force par la novella d’Ariane Gélinas, « Les Heures indolentes ». Après avoir fait une petite recherche sur Internet, Damiane découvre l’existence du village fantôme de Clova et décide de s’y rendre pour immortaliser en photo ses ruines et ses paysages. Mais bien vite, les souvenirs refont surface : et si Clova avait un lien avec le passé de Damiane ?
Pour qui a déjà lu quelques œuvres (ou toutes !) de Gélinas, le terrain est connu sans être éculé : personnages prisonniers de leur passé, villages fantômes, nostalgie, voire folie sont au menu. L’atmosphère particulièrement réussie est soutenue par une protagoniste pour qui l’on ressent de l’empathie dès les premières pages et une structure narrative impeccable, qui réserve quelques surprises aux lecteurs attentifs. Le style travaillé et poétique nous plonge dans une intrigue sombre mais savoureuse.
La deuxième novella, « Les Chutes », de Mathieu Croisetière, joue sur le même thème de la nostalgie, mais dans un texte au style moins lyrique et moins atmosphérique. Un groupe d’amis se rend, après une soirée passée dans un bar de danseuses, près du pont ferroviaire de Saint-Ursule. L’un après l’autre, ils se remémorent des événements du passé, jusqu’à ce qu’un train passe, jusqu’à ce que plus rien ne soit pareil…
Je signale d’abord un léger bémol : les personnages s’avèrent stéréotypés au début de la novella durant la scène au bar, scène qui m’a semblé faire office de remplissage. Cependant, la montée dramatique du texte captive le lecteur, sans parler de la réussite de la fin ouverte et poétique.
Vient ensuite la novella de Michel Châteauneuf, « Le Club des 4 contre les disciples de Théo ». Dans ce texte, comme l’indique le titre un peu enfantin, un quatuor se retrouve prisonnier d’une secte aux rites plutôt glauques. Plusieurs années plus tard, le dernier survivant du Club décide de coucher sur papier ce qui a mené à la descente aux enfers du groupe.
Dès les premières lignes, Châteauneuf installe une ambiance malsaine qui garde captif son lecteur jusqu’à la fin. Son style fluide, sans grandes envolées lyriques, et ses personnages bien développés font de ce texte une autre réussite au sein du collectif.
La quatrième novella, « Silvestris », de Raphaëlle B. Adam, joue elle aussi la carte de la nostalgie en installant tranquillement une atmosphère baroque où la frontière entre le merveilleux et le réel est tout sauf distincte. Le personnage principal, Marie-Chloé, apprend que des enlèvements d’enfants se produisent à Saint-Adelphe depuis plusieurs années. Elle décide alors d’enquêter pour élucider le mystère, mais aussi pour comprendre qui elle est vraiment.
Mettre en scène un personnage en partie amnésique peut parfois s’avérer artificiel dans la progression de l’intrigue, surtout lorsqu’il s’agit d’une enquête : ici, l’auteure s’en tire haut la main en faisant s’imbriquer ce lieu commun dans l’atmosphère à la frontière du réalisme. Le lecteur s’attache d’ailleurs tout de suite au personnage de Marie-Chloé. À mes yeux, « Silvestris » et « Les Heures indolentes » se révèlent les textes les plus aboutis du recueil.
La novella de François Martin, « Temps double », est sans doute moins percutante que les quatre premières, mais elle n’est pas moins maîtrisée : alors que son grand-père est sur son lit de mort, Simon se voit offrir par le vieil homme une montre qui lui est très précieuse. Quand le jeune homme découvre à qui elle a appartenu, les souvenirs commencent à l’assaillir.
Ici, tout est en douceur, en langueur. Le style sobre de Martin fait en sorte que le texte se démarque par ses personnages – charismatiques, bien développés – et par son intrigue. La relation entre Simon et son grand-père s’avère d’ailleurs touchante et réaliste.
La dernière novella, « Le Saloon des deux crânes », de Frédérick Durand, met en scène Steve qui, avec sa blonde, se rend au Festival Western de Saint-Tite. Après être entré au saloon des deux crânes, un endroit où se déroulent des scènes insolites, le couple se rend compte que l’atmosphère du bar a un grand effet sur eux, et pas des meilleurs !
Dans ce texte, comme pour les autres du recueil, l’ambiance est au rendez-vous, même si l’aspect « nostalgie » m’a semblé moins exploité. Comme pour tous les textes de Frédérick Durand que j’ai lus, on retrouve une plume personnelle et travaillée qui nous envoûte dès les premiers mots. Toutefois, « Le Saloon… » est la novella que j’ai le moins aimée du recueil, en particulier à cause de certains stéréotypes et du personnage principal dont le sort m’a laissé indifférent. Durand a visiblement voulu utiliser la polyphonie dans la narration, mais sans vraiment réussir ; une narration au « je » aurait permis de faire mieux passer les propos misogynes et homophobes de Steve.
En somme, Les Murmurantes rassemble des voix uniques et émergentes qui valent la peine d’être découvertes. Malgré une finale qui ne m’a pas semblée à la hauteur du reste, l’ensemble demeure savoureux et cohérent, entre autres grâce aux toiles de Joanie Gélinas… que j’aurais aimé retrouver en couleurs dans l’ouvrage.
Mathieu ARÈS