Frédérick Durand, Quand s’éteindra la dernière chandelle (Fa)
Frédérick Durand
Quand s’éteindra la dernière chandelle
Encino, Black Coat Press (Rivière Blanche), 2015, 190 p.
Au cours d’une soirée bien arrosée, Florent se fait prendre à son propre jeu : il affirme, lors d’une discussion, ne pas croire aux phénomènes surnaturels. Son ami Mathieu lui lance alors le défi d’écrire une lettre aux Forces des Ténèbres. Bientôt, tous s’attroupent autour des deux hommes pour participer à la joute verbale, qui se résout par la mise à la poste de ladite lettre. À la suite de cette soirée, qui n’aura finalement pas donné la chance à Florent de séduire l’une des convives, ce dernier tentera d’oublier les événements qui se sont produits. Mais bien vite, l’homme se rendra compte qu’on ne peut échapper aux Forces des Ténèbres, surtout lorsque l’on a signé un contrat de son sang. Sa réalité monotone laisse doucement place à l’horreur la plus improbable, horreur qui, rapidement, le pousse à souhaiter n’avoir jamais accepté ce défi absurde.
Frédérick Durand est reconnu pour ses œuvres atypiques et personnelles, ainsi que pour sa plume ciselée. Quand s’éteindra la dernière chandelle ne déroge pas à cette règle et offre une savoureuse descente aux enfers où le fantastique, teinté d’horreur, se manifeste de façon subtile, presque métaphorique. Ici, pas d’effets grandiloquents, car c’est plutôt le bouleversement des repères du protagoniste qui nous intéresse, lequel se démène au cœur d’un monde kafkaïen. D’ailleurs, en faisant évoluer son histoire autour de Florent, Durand réussit à capter l’angoisse de ce personnage et à nous la décrire sans qu’elle paraisse plaquée. Ainsi la structure de l’œuvre profite de ce huis clos dans lequel tout déraille, y compris les pensées de Florent qui semblent avoir de moins en moins de sens à mesure que progresse l’intrigue. Parfois, les idées du protagoniste s’entremêlent et se recoupent au sein d’une même phrase ou d’un même paragraphe, ce qui ajoute de la crédibilité à son parcours.
De plus, le roman tire profit d’une intrigue réduite à sa plus simple expression ; à l’image de La Métamorphose de Kafka, il s’agit plutôt d’une œuvre d’atmosphère, d’une allégorie visant à faire réfléchir le lecteur sur sa propre condition et sur la société dans laquelle il vit. Et au cœur de cette allégorie, Durand fait naître une kyrielle d’images dérangeantes, glauques et grand-guignolesques. En repoussant les limites du mauvais goût, il nous convie à un voyage duquel il est impossible de ressortir indemne, un voyage sulfureux raconté avec une étonnante chaleur grâce à un style absolument unique.
Il est également intéressant de noter que le roman est suivi de trois nouvelles, dont deux ont été publiées dans les pages de Solaris. Ces textes, à l’atmosphère proche de celle de l’œuvre éponyme, complètent un ensemble métaphorique où le fantastique s’immisce lentement dans la vie des protagonistes.
En somme, Quand s’éteindra la dernière chandelle représente davantage un exercice de style qu’un roman aux balises bien définies. Les amateurs d’action et d’histoires complexes n’y trouveront probablement pas leur compte, mais ceux qui aiment leur fantastique gothique ainsi que les œuvres de Frédérick Durand seront comblés. Seul petit bémol : il vous faudra éplucher les sites de vente en ligne ou trouver une librairie qui propose les livres de Rivière Blanche au Québec, car l’éditeur européen, au catalogue considérable, ne distribue pas ses ouvrages dans la Belle Province.
Mathieu ARÈS