Guillaume Corbeil, Trois princesses (Fy)
Guillaume Corbeil
Trois princesses
Montréal, Le Quartanier, 2016, 138 p.
J’ai un faible pour la mythologie sous toutes ses formes : récits gréco-romains classiques, paraboles chrétiennes ou contes traditionnels. Quand j’ai découvert le livre de Guillaume Corbeil, Trois princesses, dans lequel il revisite et modernise Blanche-Neige, Cendrillon et la Belle au bois dormant, j’étais déjà séduite. Et le recueil a commencé en grand, avec l’histoire de Blanche-Neige.
« Blanche-Neige voudrait qu’on la reconnaisse pour ses idées, mais c’est pour sa beauté qu’on voudra la tuer. »
Quelle brillante idée ! À partir du canevas traditionnel (Blanche-Neige est la belle-fille d’une méchante sorcière vaniteuse et elle se réfugie auprès de nains), l’auteur a brodé, en respectant le ton du conte et en lui insufflant quelques touches de surréalisme, autour de la vie intérieure de la princesse. Vie dont on ne sait normalement rien, la blanche jeune femme aux cheveux noirs se contentant de pleurer, faire du ménage, croquer dans une pomme et mourir. Dans la version de Guillaume Corbeil, Blanche-Neige est une intellectuelle qui voudrait partager son savoir avec le monde, qui n’en aura pas la chance. Sa beauté la condamne à mourir de la main de sa belle-mère, tandis que le prince qui pourrait la sauver la préfère embaumée et muette ! J’ai tout de suite établi un parallèle entre cette Blanche-Neige revisitée et les jeunes femmes modernes que certains ne prennent pas au sérieux, les jugeant selon leur apparence « trop sexy » ou « trop distrayante » plutôt que sur la qualité de leurs propos. J’ai adoré. Et c’est avec de grandes attentes que j’ai entamé le conte suivant.
« Dans un autre royaume, Cendrillon, la fille du palefrenier, contemple les splendeurs du château et rêve d’aller au bal du prince. Pour vivre son rêve, ne serait-ce qu’une nuit, elle sera prête à tout sacrifier. »
Cette histoire m’a laissée perplexe. Cendrillon, pour aller au bal, reçoit les services de sa fée marraine et perd son soulier en repartant. Jusque-là, tout va bien. Mais lorsque la fée marraine lui vole sa voix et qu’une seconde Cendrillon apparaît au bras du prince, je me suis retrouvée un peu perdue. Pourquoi cette hybridation avec la Petite Sirène ? L’auteur voulait-il raconter l’histoire d’une jeune femme qui cède aux sirènes de la consommation au point d’en perdre son identité propre ? Si oui, cela aurait pu être amené plus clairement, il me semble. Mais qu’importe : la plume vive à l’humour un peu grinçant demeurait agréable à lire. J’ai donc plongé dans la dernière partie du livre.
« La Belle au bois dormant, quant à elle, étouffe sous le vernis de la petite fille parfaite qu’elle est condamnée à être et, dans un long sommeil, se voit assaillie par tout ce qui grouille derrière les apparences. »
Si la Belle au bois dormant étouffe, c’est que sa douzaine de fées marraines l’ont dotée de toutes les qualités destinées à en faire une parfaite princesse, au point qu’elle n’arrive pas à se rebeller ! Sa bouche débite avec candeur les politesses d’usage et son corps magnifique se déplace gracieusement, même lorsqu’elle voudrait mentir ou courir. Encore une fois, l’auteur nous invite à voir derrière les apparences et les actions, dans le dialogue intérieur de la princesse. C’est très réussi au début du conte, mais à partir du sommeil de la princesse, où on tombe dans l’allégorie surréaliste alors que le contexte se serait prêté à quelque chose de plus sombre et terre à terre, cela devient moins convainquant. La finale, notamment, m’a déçue et laissée sur ma faim. La Belle qui se réveille de son long sommeil est devenue une vieille femme et elle semble, pour une raison non spécifiée, enfin libérée de son carcan de perfection. La magie féérique aurait-elle une date d’expiration ? Doit-on établir un parallèle avec la tendance qu’ont certaines femmes de se libérer des pressions sociales en vieillissant ? Mystère.
Dans l’ensemble, j’ai apprécié ma lecture de Trois princesses, mais j’ai trouvé les textes inégaux et l’ensemble ne m’a pas tout à fait convaincue. Il m’a semblé que l’impression laissée aurait été plus forte si certains concepts avaient été élaborés davantage. L’auteur a toutefois prouvé qu’en écartant les héroïnes passives de Disney et les comédiennes aux faux-cils clownesques de la série télévisée Once Upon A Time, il est parfaitement possible de revisiter les contes traditionnels et de leur donner un souffle nouveau. Il suffit de se préoccuper de la vie intérieure des princesses.
Geneviève BLOUIN