Hervé Gagnon, Demonica (Fa)
Hervé Gagnon
Demonica
Montréal, Recto Verso, 2016, 251 p.
Hervé Gagnon est un auteur prolifique qui a signé les séries Le Talisman de Nergal, Damné, Vengeance, Malefica et de nombreux romans jeunesse teintés de fantastique. Personnellement, je le connais surtout comme auteur de romans policiers à saveur historique. Avec les aventures de Joseph Laflamme publiées dans la collection Expression Noire (quatre tomes à ce jour), il a été deux fois finaliste du prix Saint-Pacôme du meilleur roman policier en plus de recevoir le prix du meilleur premier polar pour Jack.
L’auteur est historien et muséologue et cet intérêt pour le passé est significatif dans ses œuvres. Son dernier livre, Demonica, ne fait pas exception. L’histoire se déroule en 1563. Des huguenots décident de fuir la France et la violence qui leur inflige les catholiques pour tenter leur chance dans le Nouveau Monde. Après un voyage éprouvant, la poignée de protestants décide de fonder Hâvre-Grâce sur le site du village iroquois d’Hochelaga. Ce village, que Jacques Cartier avait visité lors d’un précédent voyage, a été mystérieusement abandonné par les autochtones une dizaine d’années plus tôt. L’optimisme du début fait vite place au découragement et à l’horreur alors que l’hiver approche, que la nourriture se fait rare et que le Mal s’insinue dans Hâvre-Grace. Cela commence avec la fille du révérend qui semble possédée par le démon, puis la folie gagne peu à peu les habitants, d’autant plus que les bêtes ont déserté le secteur et qu’un monstre rôde dans les environs. Sans parler de l’horreur à visage humain qui s’exprime par les pulsions de cannibalismes de plus en plus fortes chez certains membres de la communauté.
Demonica est fort justement sous-titré « récit d’horreur ». La grande réussite de ce livre vient de l’ambiance que l’auteur parvient à établir. Par moment, on ressent le froid cruel ressenti par les colons mal préparés à l’hiver québécois. L’isolement, la peur, la tension croissante sont très bien illustrés. Au début, j’ai eu un peu peur d’avoir une version en Nouvelle-France de L’Exorciste avec la petite fille possédée qui se met à parler en Araméen (même la fameuse citation « Mon nom est légion » y est), mais l’auteur nous amène habilement ailleurs. Certaines scènes d’horreur sont très graphiques, Hervé Gagnon n’écrit clairement pas pour les jeunes ici et certaines descriptions sont rendues avec une telle précision qu’on peut presque sentir l’odeur du sang. La narration met en relief les différents sens pour nous permettre de ressentir le péril de ces pauvres colons qui meurent de faim et qui s’abandonnent de plus en plus au désespoir. Mention honorable pour la qualité de l’écriture. Les descriptions sont riches et l’utilisation du vocabulaire d’époque rend le contexte historique crédible sans alourdir le récit inutilement.
Mon seul bémol vient du développement des personnages. Si le narrateur, Guichard Sorbiac, est bien développé, on ne peut en dire autant des autres habitants d’Hâvre-Grâce. La plupart des habitants sont utilitaires, tout comme plusieurs dialogues d’ailleurs. C’est dommage, car on aurait aimé connaître davantage ces hommes et ces femmes déracinés. Le lecteur se serait davantage intéressé à leur sort et leur mort serait devenu un moment encore plus mémorable. Car oui, il en meurt des colons. Beaucoup même. Avec un peu plus d’espace pour développer les interactions et définir le caractère de chacun, Demonica aurait été diablement efficace.
Cela dit, je suis ressortie de ma lecture avec une impression très favorable et c’est sûr que si l’auteur commet un nouveau récit d’horreur, je vais m’empresser de le lire.
Pierre-Luc LAFRANCE