Martine Desjardins, La Chambre verte (Fa)
Martine Desjardins
La Chambre verte
Québec, Alto, 2016, 248 p.
La demeure familiale des Delorme a une dent contre ses occupants. Ceux-ci, des avares et des parvenus, la laissent dépérir, trop occupés à rogner chaque dépense et à recycler leurs épluchures de navet pour se rendre compte de son délabrement progressif. C’est pourquoi, lorsque l’occasion se présente de provoquer la chute de la lignée Delorme, et l’avènement hâtif de son héritier, la maison prête main-forte aux intrigants, tantôt en déverrouillant ses portes, ailleurs en faisant, à point nommé, craquer ses planchers.
Vous avez bien lu : dans ce nouveau roman de Martine Desjardins, la maison est non seulement un personnage à part entière, mais elle assure la narration du récit. Pour moi qui suis friande des procédés narratifs sortant de l’ordinaire, l’ouvrage est un petit bijou ! Les lecteurs qui, pour leur part, ne seront pas séduits dès les premières lignes par la narratrice hors normes devraient tomber rapidement sous le charme de la plume de l’auteure. Le style de Desjardins est fluide et imagé, moins orné que dans son opus précédent (Maleficium, récipiendaire du prix Jacques-Brossard en 2009), mais tout aussi agréable.
Dans La Chambre verte, l’auteure met en scène trois générations de Delorme, avec leurs drames et radineries. Il y a d’abord le patriarche fondateur, Prosper Delorme, l’homme qui a connu la fortune et mis sur pied la religion familiale. Religion où l’on prie en ces mots : Notre Dollar qui est précieux/ Que votre fonds soit crédité/ Que votre épargne arrive/ Que votre versement soit fait au Trésor comme aux livres. Donnez-nous aujourd’hui notre intérêt quotidien/ Et pardonnez-nous nos dépenses/ Comme nous profitons des sous qui nous sont avancés. Ne nous laissez pas succombez à la spéculation/ Mais préservez notre capital. Nanti soit-il.
Vient ensuite le fils aîné Louis-Dollard Delorme et son épouse Estelle, qui s’ingénient, par tous les moyens légaux (et même quelques illégaux) à faire fructifier les richesses familiales, quitte à laisser leurs sœurs mourir vieilles filles. Tous fondent de grands espoirs sur l’unique rejeton de la lignée, Vincent Delorme. Tandis que ses parents intriguent pour le marier à une riche héritière, la maison s’ingénie, dans la mesure de ses moyens, à le placer à la tête des dépenses familiales. Toutefois, lorsque Vincent accède à la mystérieuse chambre verte, le saint des saints protégé par les soixante-sept serrures de la demeure, c’est pour préparer à tous une surprise de taille…
J’en conviens, le personnage de l’avare n’en est pas à sa première apparition dans la littérature québécoise et la présentation d’une famille entière de Séraphins, si elle provoque par moment des éclats de rire, n’entraîne pas de péripéties qui surprennent outre mesure le lecteur. De plus, le seul élément véritablement fantastique de cette histoire est la présence d’une maison dotée de conscience, ce qui pourrait décevoir certaines personnes en quête d’un roman fortement rattaché au genre. Cependant, je crois que l’originalité de la narration et le ton léger du récit, avec son humour grinçant et ses farces situationnelles qui rappellent le vaudeville et le théâtre d’été, rachètent ces petits bémols. Pour moi, La Chambre verte fut un pur plaisir de lecture.
Geneviève BLOUIN