Sébastien Chartrand, Le Sorcier de l’Île d’Orléans (Le Crépuscule des arcanes -3) (Fy)
Sébastien Chartrand
Le Sorcier de l’Île d’Orléans (Le Crépuscule des arcanes -3)
Lévis, Alire, 2016, 442 p.
Ce troisième et dernier volet de la trilogie du Crépuscule des arcanes s’ouvre sur François, le vicaire possédé par son ancêtre Lavallée, alors qu’il lutte pour reprendre le contrôle de son corps. Après ce prologue, nous nous retrouvons dans les bois, à suivre un renard qui, peu à peu, se souvient qu’il est Faustin Lamarre (on se souviendra qu’au terme du volume deux, Nadjaw, l’ancienne exécutrice, lui avait jeté un sort pour lui permettre de s’évader). Retrouvé par Shaor’i, il rejoindra Baptiste, toujours aveugle, et les maymaygwashi, qui leur fourniront de précieuses informations. Ainsi, après avoir affronté de nouveau la Siffleuse pour libérer Plaçoa, ils apprendront que le père Masse, le mentor de l’oncle de Faustin que tous croyaient mort, est toujours en vie, réfugié sur l’Isle-aux-Grues. Ils embarquent dès lors dans un nouveau voyage qui leur fera croiser la route de Grosse-Île, de Kabir Kouba, de la Dame Blanche et de bien d’autres lieux et personnages, alliés et ennemis, jusqu’à l’affrontement final avec l’Étranger, dont nous apprendrons enfin l’identité.
D’entrée de jeu, le début de ce roman est plus ampoulé que le style habituel de l’auteur, en particulier le prologue avec le vicaire et le sorcier. Si le passage sans transition entre l’un est l’autre est bien monté pour donner parfaitement l’effet de soudaineté, le reste est moins fluide. L’histoire prend quelques chapitres avant de reprendre l’air d’aller des deux autres opus, comme si la plume était un peu rouillée (et embourbée dans les structures de phrases avec participes présents qui cassent parfois le rythme par leur fréquence). Les premiers événements paraissent aussi plutôt anecdotiques sur le coup (mais ne le sont pas), alors qu’on s’attend à entrer plus rapidement dans le vif du sujet. Malgré cela, il faut souligner la scène très réussie durant laquelle Faustin reviendra à son humanité depuis son état, transformé par Nadjaw à la fin du précédent volume. On se demande pendant un moment où l’auteur veut en venir avec la description, ce qui nous met dans la confusion où se retrouve Faustin lui-même.
Par la suite, lorsque le récit acquiert son rythme de croisière au bout de quelques chapitres, le lecteur se sent embarqué dans l’intrigue principale qui le mènera au terme de cette trilogie, on retrouve la fluidité de l’auteur, ses scènes d’action efficaces, l’ancrage des événements dans les sens par une multitude de détails toujours bien recherchés, et semés assez judicieusement pour ne jamais alourdir. À ce sujet, notons qu’il y a moins de références à l’époque par le biais des objets et agissements quotidiens. Cependant, comme ladite époque avait si bien été établie dans les précédents volumes, chaque allusion nous ramène le tableau complet. Davantage aurait peut-être été soit trop lourd, ou redondant. De nouveaux folklores et lieux historiques québécois sont introduits, bien choisis et pas trop nombreux, ce qui nous permet à la fois de les apprécier et de ne pas transformer le récit en simple catalogue. Certaines légendes, seulement effleurées, permettent de donner une perspective. Enfin, au niveau de l’intrigue, celle-ci est plus linéaire. Comme on se dirige vers la fin, il n’y a pas ajout de trop de personnages importants dans une galerie qui était déjà assez imposante. La trame est ici plus aisée à suivre que dans le second volume, ce qui est apprécié et à propos.
Cependant, les moments réflexifs de Faustin – assez présents dans les deux volumes précédents – sont plus rares ici, un peu escamotés même, surtout en lien avec la situation de François. En conséquence, on vit moins le tourment qu’il ressent face à la situation et aux possibles conclusions de toute l’histoire pour son frère adoptif. Un autre bémol est à mettre sur toute la scène où Faustin est en présence de la Dame Blanche. Bien que celle-ci vive clairement un dédoublement de personnalité, les dialogues sont ici moins réussis et la compréhension du personnage s’en ressent, surtout au niveau de ses motivations, de ses sautes d’humeur, des alternances entre les deux Dames.
Au terme de la lecture, Le Sorcier de l’Île d’Orléans, malgré ses quelques faiblesses, tiens la promesse de bien conclure la trilogie du Crépuscule des arcanes, une œuvre unique par son traitement de la magie et par l’époque choisie, par le souci du détail de son auteur et sa plume fluide. Le tout s’achève sur une note douce-amère, la seule qui peut convenir et on retient de tout cela une magnifique histoire sur la famille, ou plutôt les familles, celle par laquelle on est lié par le sang et celle qu’on se choisit.
Pis à moi aussi, il va me manquer, Faustin.
Josée LEPIRE