Yvan Godbout/Madeleine Robitaille, Olivier/Elliot (SF)
Yvan Godbout
Cobayes : Olivier
Boucherville, Mortagne, 2015, 321 p.
Madeleine Robitaille
Cobayes : Elliot
Boucherville, De Mortagne, 2016, 304 p.
Les lecteurs assidus de Solaris connaissent déjà la série Cobayes dont les quatre premiers tomes (Anita de Marilou Addison, Sarah et Sid d’Eve Patenaude, Yannick de Martin Dubé et Benoît de Carl Rocheleau) ont été critiqués au fil des numéros (193, 194 et 195).
Sinon, pour les nouveaux venus, voici le topo : Cobayes, une série de sept romans d’horreur écrits par autant d’auteurs, raconte la descente aux enfers des cobayes d’une expérience secrète menée par AlphaLab. Les résultats différent selon le patient car chacun possède ses démons intérieurs qui se réveillent avec les injections du produit testé. Les livres peuvent autant se lire dans l’ordre, le désordre et/ou de façon indépendante les uns des autres, même si quelques liens existent entre eux.
Yvan Godbout, auteur de la série Les Yeux jaunes (AdA), nous offre Olivier. Dans ce cinquième tome de la série, le lecteur plonge dans la tête d’un jeune homme troublé par la mort de son jumeau et par l’indifférence de ses parents à son égard, comme si son frère Oscar était mieux que lui… Pour tenter de se guérir de son anxiété grandissante mais surtout mettre la main sur la généreuse somme d’argent offerte en récompense, il deviendra un cobaye d’AlphaLab.
Si sa vie lui semblait complexe, ce n’est rien comparé aux tourments qui détruiront peu à peu son existence après la première injection.
Je mettrais ma main à couper (par Olivier et son jumeau-fantôme, bien entendu !) que Godbout est un vrai amateur d’horreur (qui connaît les Romero, Barker, Carpenter, Masterton), tout comme moi. J’ai remarqué avec grand plaisir plusieurs clins d’œil à la littérature d’épouvante et au cinéma d’horreur dans les noms de personnages et de rues (le docteur Senécal, la rue Koontz, pour ne citer que ces exemples). Aussi, c’est en lisant ses descriptions habiles de scènes violentes à souhait qu’on sait que l’auteur connaît ses classiques. Certaines mises à mort feront grincer des dents à plusieurs, même aux plus endurcis. Le genre de roman que je ne pourrais pas mettre entre les mains de ma grand-mère (j’avoue que ce n’est pas un bon exemple parce qu’elle est morte et enterrée mais bon, vous comprenez…). Et encore plus important : contrairement à nombre de romans de ce genre, l’horreur est bien dosée. Si l’horreur était une épice et Olivier un plat, ce repas serait certes épicé à souhait mais pas au point d’effacer les autres saveurs. J’entends par là le personnage principal qui est suffisamment attachant dès les premières pages pour nous permettre de se soucier de son sort… et celui de son entourage bien campé (les employés au salon de quilles où il travaille, sa place dans une famille déchirée par le deuil). La relation avec son jumeau-fantôme qui intervient de plus en plus au fil des injections, ça m’a rappelé la façon de faire de Stephen King : les voix intérieures qui tourmentent nombre de ses personnages. J’ajouterais même, tant qu’à être dans la dualité, que l’intrigue ne déplaira pas aux amateurs de Richard Bachman. En effet, Olivier propose une plongée intéressante dans la folie intérieure, individuelle, et le cheminement tortueux qui mène à l’explosion, sur les autres, vers la violence extrême que rien ne peut plus arrêter. On assiste à la descente aux enfers d’un jeune homme fragile face au regard d’autrui. Cette fragilité se transforme en une véritable obsession pour les yeux, ces yeux qui auraient dû rester clos ou, du moins, s’intéresser à quelqu’un d’autre…
Bref, j’ai passé un bon moment de lecture en compagnie d’Olivier.
Quant à lui, le sixième opus, Elliot, est l’œuvre de Madeleine Robitaille dont le très efficace roman noir Le Quartier des oubliés est présentement l’objet d’une adaptation cinématographique par la talentueuse Izabel Grondin.
Ici, nous sommes dans la tête d’un tueur en série (et non, mesdames, rien à voir avec Dexter, celui-là n’a rien de charmant et ne suit surtout pas de code de conduite. C’est un psychopathe qui aime tuer. Point). Il a besoin de beaucoup d’argent pour aménager sa salle de torture (sa salle de jeu comme il la surnomme affectueusement). C’est pourquoi il accepte l’invitation d’AlphaLab : après tout, qu’a-t-il à perdre à devenir un cobaye pour la science ? Et en plus, la réceptionniste est plutôt jolie…
Après un premier chapitre fracassant (et non, je n’utilise pas cet adjectif gratuitement : j’ai rarement lu une scène d’une telle cruauté graphique, ça me semblait aussi immoral que certains passages d’Une fille comme les autres de Jack Ketchum), le ton est donné. On aura droit à de l’horreur sans compromis, qui va jusqu’au bout. Ici, ce ne sont pas des épices, c’est la pièce de viande saignante du plat principal. Cœurs sensibles s’abstenir.
Alors que tous les autres romans de la série Cobayes mettent en scène des personnages inoffensifs qui deviennent dangereux pour eux et les autres après les injections, Madeleine Grondin y est allée à contresens : un tueur malsain qui s’humanise au fil des traitements d’AlphaLab. Ça fonctionne, surtout après cinq livres qui, malgré le grand intérêt que j’ai eu à les lire, offraient une structure répétitive : bon, ces pauvres gens vont dégénérer au fil des visites au laboratoire. Avec Elliot, j’ai eu droit à un vent de fraicheur, en quelque sorte (ou plutôt une brise qui m’amenait la puanteur des cadavres accumulés…). La quête d’un dément vers une impossible rédemption. Aux premiers signes du changement en cours, il ne comprend pas ce qui lui arrive, il tente de lutter contre les émotions qui se réveillent, celles qu’il n’a jamais ressenties avant.
J’ai beaucoup aimé même si ce n’est vraiment pas une lecture plaisante. Ce n’est d’ailleurs pas le but recherché. Vous ne lirez pas ce livre à la plage pendant que les enfants se baignent. Ici, on est clairement dans l’hiver des sens, dans un no man’s land où les vagues ont emporté les cadavres de vos enfants depuis longtemps.
Comme la perfection n’existe pas, il fallait bien que je soulève un défaut. La justification constante du personnage pour expliquer ses actes m’a agacé. Une fois, c’est bien, mais à la longue, ça irrite. Je m’explique : le roman serait beaucoup plus efficace s’il n’y avait pas toutes ces justifications, ces rappels constants au lecteur : je fais ça parce que je suis un tueur. Nous, les meurtriers faisons telle et telle chose… Voici un exemple parfait de livre où il aurait fallu appliquer le fameux show don’t tell (il faut montrer plutôt que de dire). Sinon, les scènes parlent d’elles-mêmes, on le voit bien (très bien même) que le personnage est un psychopathe aux pulsions meurtrières, nous n’avons pas besoin de se le faire rappeler à tout bout de champ.
Malgré ce bémol, je recommande sans hésiter Elliot aux lecteurs qui recherchent une histoire très noire, qui assume l’horreur qu’elle promet sans aucune censure.
Jonathan REYNOLDS