Fredrick DAnterny, Un Alien dans la peau (SF)
Fredrick D’Anterny
Un Alien dans la peau
Saint-Lambert, Soulières (Graffiti +), 2017, 217 p.
Brandon Paré s’est refermé sur lui-même depuis que ses parents sont séparés, d’autant plus que sa mère s’est mise en couple avec Ernie, père de deux garçons avec lesquels Bran n’a aucune envie de sympathiser. Le père de Bran, pilote d’avion, n’a jamais été très présent dans sa vie. En fait, son seul ami (et auditeur de ses soliloques) est Rocco, son cochon dinde. Bran s’est installé un repaire secret dans un arbre, où il se cache pour contrôler des caméras de surveillance pointées entre autres vers les rochers du mont Sauvage. À la cime de la montagne, il a aperçu des lueurs qui l’ont persuadé que des extraterrestres s’y posent régulièrement. Or, Bran ne se trompe pas, comme le lui démontre le Némorien Mimosis en procédant à l’échange de leur conscience. Mimosis souhaite voir les Terriens de plus près, les connaître de l’intérieur. Bran se retrouve donc doublement enfermé : d’abord dans un corps qui n’est pas le sien, puis à l’intérieur de la base némorienne. L’humain et l’alien vivront des aventures diverses jusqu’à ce que les Hommes en noir surgissent et tentent de s’emparer de Mimosis. Il faudra alors vite renverser l’échange des consciences. Mimosis recevra l’aide (inattendue) d’un ufologue caché sous les traits d’un itinérant, et celle (enthousiaste) de ses amis terriens et némoriens.
Le résumé ci-dessus ne rend compte que des grandes lignes de l’intrigue, car le récit de Fredrick D’Anterny est relativement complexe. Les personnages sont nombreux, tant les adultes dans l’entourage des jeunes que leurs compagnons du même âge. Le récit traite, entre autres, de la difficile adaptation d’un enfant unique à qui on impose soudain deux « frères » non désirés. Une situation d’autant inacceptable que le père de Bran s’est effacé, qu’il ne répond que rarement aux nombreux textos et appels à l’aide de son fils.
Les émotions et les réactions de Bran sont rendues de manière très réaliste : le ressenti d’abandon relatif à son père, la rancune à l’égard de sa mère (refaire sa vie est perçu par son fils comme une trahison), la protection du territoire de sa chambre, le besoin de se créer un refuge inaccessible, le renfermement sur soi alors que des amis se proposent à lui, la fugue lorsque la situation devient intenable, etc.
À noter toutefois que c’est Mimosis et non Bran qui constatera que le refus de s’adapter est absurde et inutilement douloureux. C’est Mimosis qui raccrochera au nez du père qu’il perçoit comme manipulateur. C’est Mimosis qui établira des ponts, non seulement avec ses deux « frères » et le nouveau conjoint de sa mère, mais également avec les amis que Bran se refusait d’adopter à l’école. Bran, à son retour dans son corps, se retrouvera devant le fait accompli et acceptera les changements plus par défaut que par bonne volonté, puisque les Némoriens ont effacé sa mémoire. Même si ces modifications sont pour le mieux, elles ne sont pas le choix conscient de Bran. L’adolescent est, de fait, victime d’une forme de dictature éclairée.
Cependant, Bran, de son côté, posera également des gestes dont Mimosis était incapable, comme retourner à bord d’une navette en perdition (qu’il sauvera) alors que ses parents ont péri dans une situation semblable. On peut dire que les actes s’équilibrent, même si le changement est plus marqué du côté de Bran, puisqu’il est le véritable principal protagoniste.
Ces commentaires peuvent laisser croire qu’Un Alien dans la peau est un récit grave et sérieux, alors qu’il s’agit d’un roman d’aventures au ton humoristique. La narration s’effectue à la première personne, en alternance, par Brandon et Mimosis. Après un moment de révolte, Brandon accepte ce kidnapping parce qu’il lui permet de découvrir la vie des Némoriens, qui sont de proches parents des Terriens. Némor, leur planète, serait la jumelle de la Terre, et on apprend vers la fin du récit que les Aliens nous observent depuis longtemps, qu’ils sont intervenus en Égypte ancienne et auprès des Dogons. Ce sont des êtres hautement civilisés, venus sur Terre pour tenter de sauver la planète malmenée par ses habitants.
Mon principal reproche, en tant que lectrice adulte et amateure de SF, concerne l’altérité si chère à mon cœur : de prime abord, et du point de vue de Brandon, ces aliens ne sont guère différents de nous. En fait, ce sont des espèces d’elfes à la peau bleue… ou des schtroumphs de l’espace. (Galacté, surtout, fait très schrtroumphette avec ses cheveux blonds et sa peau bleue.) Bien sûr, il y a des précédents célèbres, notamment les Vinéens des aventures de Yoko Tsuno. Mais justement, pourquoi la peau bleue alors que d’autres passages nous montrent des éléments plus riches, comme ces navettes « vivantes » ? La scène où Brandon établit le contact avec l’Être-navette en perdition est d’ailleurs très belle.
Au moment où le corps de Brandon est ramené par Mimosis dans la base némorienne, on découvre que l’air y est difficilement respirable pour un Terrien. On apprend également que c’est grâce à la télépathie que les échanges de Brandon avec les Némoriens semblaient se dérouler en français, alors qu’il n’en était rien. L’auteur suggère aussi, de manière brève et subtile, que les organes sexuels des Némoriens sont différents de ceux des humains, mais disons qu’on jette un voile pudique sur la question.
Ainsi donc, même si certains éléments SF sont plus caricaturaux, le lecteur adulte peut comprendre et accepter les raccourcis nécessaires au format du récit, qui se déroule à bon rythme et dans un style limpide, au service de l’intrigue.
L’importance est accordée surtout aux aspects « humains » – oui, humains, car Brandon conclut que les Némoriens sont des humains. La leçon est celle-ci : même quand on est différents, on est semblables ; l’ouverture à l’autre facilite la vie et rend plus heureux ; le rejet et le refus de s’ouvrir ne mènent qu’à des conflits perpétuels.
Bref, un récit qui se laisse lire pour le lecteur adulte (une fois passé l’agacement de l’aspect schtroumphette). Il sera certainement accueilli avec plaisir par le jeune amateur de récit d’aventures.
Francine PELLETIER