Joël Casséus, Crépuscules (SF)
Joël Casséus
Crépuscules
Paris, Le Tripode, 2018, 156 p.
Entre l’allégorie et l’anticipation, le nouveau roman de Joël Casséus reste fidèle à la sensibilité de ses titres précédents, signés seul ou avec Mathieu Blais, mais l’auteur publie cette fois chez une jeune maison d’édition parisienne (à qui il faut sans doute imputer la demi-douzaine de coquilles).
L’ambiance est sombre. Ce n’est pas la fin du monde du diptyque ZIPPO / L’Esprit du temps, mais nous ne sommes pas loin de l’univers de la survie comme seule valeur du Roi des rats. Dans Crépuscules, des personnages anonymes échouent dans un petit bidonville constitué de wagons abandonnés aux portes d’une ville plus favorisée. C’est la guerre. C’est l’ère des migrants, réfugiés et sans-papiers. Les nouveaux misérables.
Quelques touches d’altérité permettent de supposer qu’il s’agit du futur, mais l’anticipation reste proche des réalités d’aujourd’hui. Drones, cimetières d’équipement militaire, dénuement des exilés… Sauf que personne ne vient en aide aux déracinés. Pour l’essentiel, la charité, l’entraide et la solidarité n’existent encore qu’à l’intérieur du dernier cercle de la misère.
Cassés a choisi de ne pas particulariser la situation. Ni les lieux ni les personnages ne sont nommés. Dans les romans de Guay-Poliquin, cela n’empêche pas de se faire une idée du contexte. Crépuscules opte pour un cadre si vague qu’il pourrait correspondre à de nombreux pays occidentaux ou méditerranéens. Ce sont les drames humains qui doivent primer – malgré l’anonymat qui expose leurs acteurs au risque d’une dépersonnalisation supplémentaire. Le récit fait vivre des pères et des mères qui s’interrogent sur leur avenir et l’avenir de leurs enfants, vivants ou à naître. Quand la vie devient trop difficile et que la dignité humaine n’est plus qu’un vœu pieux, les quelques résurgences de tendresse paternelle ou de générosité font figure de fausses pistes. Même quand un crépuscule se prolonge, il annonce une fin.
Néanmoins, le choix de l’universel a quelque chose d’inquiétant si Casséus craignait – et avait raison de craindre – que ses lecteurs seraient moins touchés par le sort de personnages appelés Adnan, Umar ou Elissar que par le destin d’anonymes. Les ellipses, réticences et circonlocutions que l’auteur s’oblige à employer en refusant de nommer, même de manière fantaisiste, ont pourtant de quoi lasser la patience des lecteurs. L’expérience d’écriture est plus intéressante que l’expérience de lecture.
Le récit se termine sur un cri parce que ce livre est un cri. Inutile d’y chercher des solutions nouvelles ou futures à la détresse des exilés. La science-fiction sert ici à souligner que, demain comme aujourd’hui, il faut commencer par reconnaître l’envie de vivre de ceux qui n’ont plus rien.
Jean-Louis TRUDEL