Alain Gagnon, Gloomy Sunday (Fa)
Alain Gagnon
Gloomy Sunday
Triptyque (Satellite), 2019, 322 p.
Quand j’ai appris la naissance d’une nouvelle collection chez Triptyque qui se définissait ainsi : « Ayant un parti pris pour la littérature de genre, la collection Satellite dynamite les atlas et érige des idoles sur leurs ruines. À la fois laboratoire de poétique et lieu de passage pour l’imaginaire, Satellite accueille des histoires transfuges, des livres étranges et des œuvres de science-fiction », je me suis dit qu’une fois n’est pas coutume et qu’il pouvait être intéressant que je remette mon chapeau de critique d’œuvre québécoise, ce que je n’ai pas fait depuis plus d’un quart de siècle pour des raisons éthiques évidentes. D’une part parce que cette description du projet éditorial m’interpellait suffisamment (dynamiter les atlas ? laboratoire de poétique ?) pour que j’en jauge la pertinence, d’autre part parce que le premier titre proposé en est un du regretté Alain Gagnon, auteur saguenéen dont j’ai lu la majorité de la vaste œuvre narrative. Et enfin parce que la quatrième de couverture de Gloomy Sunday indiquait que ce recueil posthume nous amenait en Euxémie, le pays décalé si cher à Gagnon (et effectivement introuvable sur un atlas) et que j’ai su apprécier au fil des titres s’y rattachant. Bref…
Gloomy Sunday, ce sont huit nouvelles intimement liées grâce à un préambule qui donne le ton du recueil – « En automne progresse le noir, progresse la nuit. Le brumeux et le flou augmentent ; le mystérieux et l’insolite sourdent des sous-sols et des sous-bois, et se montrent à la lumière rare des jours gris […] J’ai demandé aux gens de l’Euxémie des histoires. Vraies ou fausses, il m’importe peu. Chacune contient sa part de fiction et de vérité » – et des intercalaires qui mettent en scène Alain Gagnon dans son quotidien, rencontrant ces Euxémiens qui lui raconteront l’inracontable, le surprenant, l’insolite et, dans sept fois sur huit, ce qui constitue d’incontestables intrusions du sur-naturel.
Comme Édouard Laforge, dans « Un gars de la marine… », qui se surprend à jaser avec un geai bleu qui se change en Ondine ; comme Rémi Loriot, qui propose à l’auteur la vraie origine du fantôme du Parc des Laurentides dans « La Dame du Parc » ; comme cette infirmière à la retraite qui évoque les étrangetés qui ont lieu au « Motel de la mémoire » ; comme…
Huit textes de belle facture, donc (un seul ne s’intègre pas dans le corpus fantastique, mais très certainement dans celui de l’insolite), amoureusement encoconnés dans leurs écrins narratifs qui permettent au lecteur d’accompagner Alain Gagnon lui-même dans ses pérégrinations, ses rencontres, ses interrogations… et qui nous font drôlement regretter son départ pour cet autre ailleurs dont on ne revient pas.
Un très beau livre, un excellent départ pour la nouvelle collection de Triptyque.
Jean PETTIGREW