Ariane Gélinas, Quelques Battements d’ailes avant la nuit (Fa)
Ariane Gélinas
Quelques battements d’ailes avant la nuit
Lévis, Alire (GF), 2019, 242 p.
Séverine Proulx, voyageuse infatigable, est incapable de demeurer au même endroit plus de quelques mois. Élevée par sa tante Garance, une travailleuse humanitaire globe-trotter, la presque trentenaire a pourtant choisi Fermont pour tenter d’y vivre une vie normale. Elle compte entre autres sur son nouveau poste de technicienne en documentation à la bibliothèque publique de la ville pour y arriver. Pourtant à peine installée, elle apprend que la précédente locataire de son appartement a été retrouvée assassinée peu de temps auparavant. Une seconde disparition va secouer davantage la vie pourtant tranquille des Fermontois.
Heureusement pour Séverine, elle va se lier d’amitié avec Tshenu, un Naskapi atteint de narcolepsie mais qui connaît la région comme sa poche, et avec Palmyre, une collègue de travail colorée. De plus, elle n’est pas insensible aux charmes d’Alban, un ancien monteur de lignes qui élève des grenouilles.
Mais la fosse du Labrador contient autant de mystères que de fer, et Séverine se verra rapidement plonger au cœur d’un mystère aux allures surnaturelles, alors que d’étranges visions l’assaillent, et que son instinct lui dicte la fuite.
L’œuvre d’Ariane Gélinas est traversée par une fascination pour le Nord et les villages fantômes, et son nouveau roman n’y fait pas exception. Bien que Fermont soit encore aujourd’hui bien vivante, elle a la particularité de ne pas avoir de cimetière, comme sa voisine Schefferville. On peut donc en conclure que la ville doit avoir sa part de fantômes…
On s’attache difficilement à Séverine Proulx, mais est-ce si étonnant, vu son propre problème d’attachement ? Comme les personnages qui gravitent autour d’elle, sa psychologie est réfléchie et travaillée. Atteinte de vitiligo, la protagoniste a un passé douloureux, dont les failles traversent encore sa psyché, plus de vingt ans après les faits. D’ailleurs, c’est un des points forts du roman, ce rappel constant et progressif du traumatisme d’enfance de Séverine.
Ceux qui gravitent autour de la jeune femme ne sont pas non plus sans failles, alors que Tshenu n’a pas revu sa famille depuis des années, qu’Alban se remet encore d’une rupture difficile et que Palmyre cache plus ou moins son ancien métier qu’elle pratique encore à l’occasion.
Par contre, le récit lui-même possède ses propres fractures, et on aurait souhaité que l’auteure les explore plus avant. Si l’élément fantastique est franc et bascule éventuellement dans une sorte de terreur sacrée, il aurait fallu mieux le présenter et l’expliquer davantage, pour éviter que le lecteur termine le roman en restant sur sa faim. Il y a de nombreuses questions qui demeurent sans réponses dans ce récit, et c’est dommage, parce qu’on sentait que Gélinas avait un bon filon, avec cette ville construite à l’intérieur d’une muraille.
D’ailleurs, les descriptions de Fermont et de son mur-écran sont fascinantes et totalement exotiques, malgré leur québécité évidente. On est complètement désorienté par ce mode de vie atypique et pourtant nécessaire à la survie des Fermontois. On sent que l’auteure est fascinée par cette ville (elle a déjà expliqué avoir visité Fermont) en plus d’avoir fait des recherches approfondies sur le sujet.
C’est donc une lecture en demi-teinte, ce qui m’amène à croire que le roman aurait bénéficié d’une bonne centaine de pages supplémentaires pour que Gélinas puisse explorer complètement les nombreuses pistes qu’elle sème tout au long de son récit. Parce que malgré la beauté froide et sauvage des descriptions de Fermont, et les personnages fascinants qui y évoluent, l’intrigue apparaît incomplète, pour notre plus grand malheur.
Pierre-Alexandre BONIN