Benoit Ménard, Nouvelles de la conscience (SF)
Benoit Ménard
Nouvelles de la conscience
Montréal, Tête première, 2018, 123 p.
La science-fiction peut-elle se contenter d’éternels recommencements ? Diplômé en études littéraires de l’UQÀM, Ménard consacre ce recueil à la thématique des transferts de conscience. L’aliénation du corps au profit d’un esprit extérieur, intrus plus ou moins délibéré, a une longue histoire en science-fiction francophone. La possession par une mentalité extraterrestre apparaît déjà chez Maupassant et Nau, tandis Maurice Renard imagine les transplantations de cerveau dans Le Docteur Lerne, sous-dieu (1908). Même si un thème n’est pas neuf, il demeure toujours possible de signer des exploitations inédites si ce n’est qu’en apprêtant une idée rebattue au goût du jour. Les inquiétudes et les marottes d’aujourd’hui diffèrent forcément de celles d’il y a un siècle.
Dès lors, il est quelque peu étonnant de constater que Ménard s’en tient à des histoires qui auraient pu être rédigées il y a trente ou quarante ans. Le transfert de conscience est d’abord réalisé pour faire bénéficier de jeunes astronautes de l’expérience des vétérans. Une fois développée, la technique est offerte par un nombre grandissant de laboratoires illégaux. Si le premier texte aborde l’attrait pour les vieux d’une seconde vie dans un corps plus jeune, l’auteur reste en deçà des possibilités fictionnelles de l’idée dans les six autres nouvelles du recueil. Certes, le transfert de conscience permet de tricher, au jeu ou au travail, en se faisant remplacer par quelqu’un de plus doué – ou par une personne qui se fera payer pour subir les moments désagréables de la vie d’autrui ainsi que les besognes fastidieuses. Dans « L’Aveu », Ménard évoque même la possibilité de commettre des crimes avec un corps d’emprunt, mais il ne va pas plus loin.
Une transformation aussi fondamentale de l’existence humaine ouvre pourtant la porte à des questionnements radicaux et des utilisations encore plus dérangeantes. Si Ménard mentionne le transfert de la conscience d’une femme dans le corps d’un homme, il ne traite pas du cas contraire, ou de transferts plus aventureux (dans le corps d’un enfant ou même d’un animal), susceptibles d’avoir des conséquences sociales et psychologiques révolutionnaires. Les limites techniques du procédé restent floues.
Alors que nous vivons à une époque géopolitique troublée, dans un monde sous surveillance et en pleine révolution de l’intelligence artificielle, le transfert de conscience – entre riches retraités et migrants sans-le-sou, entre rebelles souhaitant saboter les certitudes de l’État-surveillance, voire entre l’IA d’un astronef et un humain comme dans la série Les Chroniques du Radch de Leckie – offrait un potentiel fictif extraordinaire que l’auteur n’a pas exploité.
La lecture des nouvelles de Ménard demeure agréable. Il écrit dans une langue simple, avec un style alerte qui va à l’essentiel et qui suscite la sympathie pour ses personnages. Le troisième texte opte pour une fin ouverte, quelque peu élucidée par une allusion dans le dernier texte. Dans « Frères de sang » et « L’Aveu », le transfert de conscience n’est toutefois qu’un prétexte, voire une fausse piste, qui réduit le dénouement à une simple chute sans envergure. Néanmoins, Nouvelles de la conscience témoigne déjà d’une volonté salutaire de jouer avec des idées et de raconter des histoires. On peut espérer que l’auteur passe au niveau supérieur dans son prochain ouvrage.
Jean-Louis TRUDEL