Christiane Vadnais, Faunes (SF)
Christiane Vadnais
Faunes
Québec, Alto, 2018, 137 p.
Le premier roman de Christiane Vadnais, Faunes, joue sur l’ambiguïté dès que nous posons les yeux sur sa page couverture. Annoncé comme un roman de genre, son titre réfère-t-il aux faunes mythologiques, créatures mi-homme, mi-chèvre ou alors aux faunes biologiques, composées de toutes les espèces animales ? Sa superbe page couverture, où figure un cerf aux bois fleuris, prolonge l’incertitude. Voulant en avoir le cœur net, nous ouvrons le livre…
Quelques citations, puis une page toute noire où un texte blanc parle d’humains qui rêvent de combats d’animaux et nous annonce que, pour survivre, il faudra revenir à des temps plus sauvages. Ensuite, un titre en latin « Diluvium », inondation, puis l’histoire commence, croit-on, avec l’arrivée d’Agnès au spa de Shivering Heigths, menacé par la montée des eaux, où elle rencontre l’étrange Heather. Et juste au moment où nous croyons comprendre, avoir pris le rythme de cet étrange roman, voilà que le spa est englouti, un nouveau titre latin s’étale sur la page et nous nous retrouvons dans une communauté lacustre où Thomas tombe en amour avec Laura, l’étrangère. D’accord, nous ne sommes pas dans un roman, mais dans un recueil de nouvelles. Page noire, rêves d’animaux… Ou peut-être dans un recueil de prose poétique ou de poésie narrative ? Titre latin, Laura, dans le passé ou dans le futur, est désormais gardienne de zoo… Les fragments sont donc interreliés… Des images magnifiques surgissent du texte. Cette étrange jeune femme, dans la fosse aux lions, est-ce la Heather du premier récit ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire d’eau infestée de parasites ? Des parasites qui s’attaquent à toute la faune, toutes les faunes, sous les yeux de Laura, du poisson au lion… en passant, bien sûr, par l’homme.
Quelque part au fil de la lecture, nous renonçons à rationaliser et nous nous laissons porter, sur la prose poétique de l’auteure et ses tableaux fantasmagoriques, vers ce nouvel animisme qu’elle nous raconte. Peu à peu, nous en venons à nous fondre dans ce personnage final de femme sans nom chez qui « Parfois, quand elle aperçoit des êtres inconnus, un vieux désir monte en elle : nommer. Classer le vivant. Mais, désormais, elle opte le plus souvent pour la contemplation, comme elle fixe avec curiosité les reflets irisés de cette larve moelleuse, aux oscillations amples. »
Toutefois, si nous ne sommes pas prêts à ce lâcher-prise, nous serons déçus. Faunes, livre-objet magnifique, texte sublime, est de ces œuvres qui déroutent certains lecteurs et défient les catégories. Le fil narratif général est ténu et certaines récurrences du personnage de Laura semblent un brin forcées. Cela pourrait nous laisser sur notre faim.
Ce ne sera cependant pas le cas si Faunes est dévoré à la manière d’un long poème, lu d’une traite lors d’une soirée pluvieuse, en dégustant les sons et les images, sans s’attarder sur le sens, qui jaillira de lui-même.
Geneviève BLOUIN