Dave Côté, Nés comme ça (Hy)
Dave Côté
Nés comme ça
Sherbrooke, Les Six Brumes (Brumes de légende), 2018, 251 p.
Inutile de chercher à comparer Dave Côté.
En préface de Nés comme ça, Élisabeth Vonarburg tente l’expérience pour en prouver l’inutilité : elle fait notamment référence à Dick, Gaiman et Sheckley (la cuvée des années cinquante de ce dernier se prête spécialement bien à l’exercice). Dans la même veine, j’évoquerais l’univers surréaliste de L’Écume des jours de Vian, l’humour grinçant de Leiber ou celui, loufoque, d’Adams. Toutefois, le jeu du « un peu de ceci, un peu de cela » mènera de façon inévitable à la même conclusion que Vonarburg : « Dave Côté écrit du Dave Côté, point à la ligne ». Ce qui, incidemment, en fait l’une des voix les plus singulières de notre littérature de genre et c’est pourquoi rassembler ses meilleurs textes dans un recueil était, selon moi, nécessaire.
L’œuvre débute par une nouvelle nous montrant un Côté en pleine maîtrise de son art : « Les Olives de Mélanie », qui relate l’assaut d’un pirate outre-dimensionnel en quête d’une cargaison d’olives, Graal multiversel entre tous. Il s’agissait d’un excellent choix pour débuter ce recueil : le lecteur sera fixé à la fin de ce premier texte s’il aime ou non le style burlesque de Côté.
Vient ensuite « Le Talent d’Ati » où l’auteur semble un peu moins à l’aise (il admettra lui-même, en texte intercalaire, être moins confortable avec la science-fiction). Le texte n’est pas mal écrit mais peut-être plus convenu pour le lecteur habitué au genre. Personnellement, il m’a laissé plutôt tiède.
Même constat pour « Le Casseur de branches »et « Solitudes » : le premier texte part d’une idée excellente, évoque un bel univers mais aurait demandé, quant à moi, davantage de travail ; le second aurait peut-être eu besoin d’un peu plus d’espace pour arriver à son plein potentiel.
Ce qui ne signifie pas que Côté ne peut réussir un texte court : « Tout à la fois » est un récit pittoresque (dans les deux sens du terme !) qui vaut franchement le détour et impossible à résumer sans en gâcher l’effet.
D’ailleurs, les meilleures pages sont, à mon avis, celles ayant les héros les plus surréalistes : « L’Homme aux chiots », « Vortex », « En prison » et (surtout) le bouleversant « Monsieur Gâteau ». Aborder ces textes exige de mettre en veilleuse une partie de sa rationalité car, en effet, il est inutile de s’interroger par quelle impossibilité biologique pourrait naître un homme ayant des chiots à la place des mains, une fille dont le corps constitue un pont entre deux mondes, un homme doté d’un non-espace dans le dos ou un homme fait en pâtisserie – et pourtant… Pourtant ! Que de cohérence dans le développement psychosocial des personnages et surtout, sensibilité dans le traitement du thème ! Il s’y crée une très puissante connivence avec le lecteur qui accepte le périple. Le second degré de ces quatre nouvellesest magnifiquement subtil, tout en nuances et en non-dits, le tout formant une sorte d’équivalent littéraire à un tableau de Bosch.
« Dans le sillage des Extérieurs »dépeint un univers fascinant où l’on devine un riche arrière-monde dans lequel pratiquer le cyclisme prend des allures d’épopée dantesque. Côté affirme qu’il s’agit là d’une idée de roman recyclée en nouvelle ; la réutilisation est réussie, mais on déplore qu’une telle vision n’ait pas donné naissance à un texte plus long.
Le recueil s’achève sur « Seigneur ou esclave », ce qui est encore un excellent choix. Le décor « surmontréalais » d’Overcity est tout aussi riche que celui de la nouvelle précédemment citée. J’avais eu la chance de lire une esquisse de l’univers d’Overcity au cours d’un atelier ; ce fut un réel plaisir pour moi que de m’y plonger à nouveau grâce à cette (encore trop brève) nouvelle. Côté précise dans son texte intercalaire qu’Overcity est un roman encore en recherche d’un éditeur et on ne peut souhaiter, après avoir lu ce récit, que cette quête soit bientôt couronnée de succès.
Bref, une expérience de lecture aussi unique que l’est la démarche de l’écrivain.
Sébastien CHARTRAND