Élisabeth Vonarburg, Les Pierres et les Roses 2 et 3 (SF)
Élisabeth Vonarburg
La Voie des roses (Les Pierres et les Roses -2)
Lévis, Alire (GF 67), 2018, 659 p.
La Balance et le Sablier (Les Pierres et les Roses -3)
Lévis, Alire (GF 72), 2018, 740 p.
La lecture de La Voie des pierres, premier tome de la série Les Pierres et les Roses d’Élisabeth Vonarburg, m’avait laissée sur des charbons ardents. Cédric, Annaïg, Rébecca, Briann, Guillem et Arwèn n’étaient pas en danger, mais tant de mystères planaient encore sur leur passé, leur avenir, la magie qui les entouraient… Dès que j’ai reçu les deux tomes suivants de la série, j’ai plongé dans ma lecture et je suis retournée dans cette Europe alternative où les Géminites honorent Sophia, la jumelle de Jésus, et le talent magique transmis aux hommes.
Pendant un moment, au début du deuxième tome, La Voie des roses, j’ai été déçue que Cédric et Annaïg, prisonniers des frontières de la Christienté, ne fassent plus partie du récit, qui se déroule désormais en Europe géminite. Cependant, je dois admettre que leur histoire était, à toutes fins pratiques, terminée. Tandis que celle de Briann était encore à faire et à raconter. D’ailleurs, la grande surprise du deuxième tome de la série est l’apparition de scènes narrées du point de vue de Briann. Après avoir observé l’ancien Croisé de l’extérieur pendant tout un bouquin, il est passionnant de plonger enfin dans sa psyché… et d’y découvrir nombre de souvenirs fragmentés et de blessures. Briann, on l’avait deviné, n’est pas revenu indemne des guerres qu’il a vécues, mais on mesure désormais à quel point les tueries l’ont marqué.
Officiellement mort, coupé de sa famille, Briann, malgré la présence de Guillem à ses côtés, n’a plus vraiment de raison de vivre, hormis l’injonction de Rébecca, qu’il a promis de respecter : « Vivez et soyez libre ». Par curiosité plutôt que par piété, il a entrepris de suivre un groupe de pèlerins qui se rendent à Sainte-Marie-en-Galice (version alternative de Compostelle). Or, la Voie des pèlerinages n’est pas le havre de paix qu’elle devrait être. Des bandes de brigands y sévissent avec de plus en plus d’ardeur et d’organisation. Ils attaquent des villages le long de la Voie et semblent avoir trouvé une manière de neutraliser les mages géminites chargés de les repérer. Briann participe bientôt à la défense de son convoi et trouve ainsi une nouvelle vocation. Pendant ce temps, à Tolosà, Rébecca découvre que la société géminite comporte ses propres inégalités sociales et tente d’y trouver tout de même sa place. Quelques siècles auparavant, Arwèn assiste au schisme entre Christiens et Géminites, puis découvre que l’Entremondes est peuplé d’une Puissance qui dépasse toutes les autres.
Le deuxième tome se termine, on entre dans La Balance et le Sablieret voilà l’équilibre qui bascule. La menace contre la magie géminite se précise. Briann est engagé par la royauté afin de les aider à s’en protéger et on découvre à son sujet un secret de taille. Une véritable Croisade contre le talent se met en branle. Briann y est aspiré, de même que Rébecca et Guillem. Arwèn, qui a traversé les siècles, y est mêlée aussi. Magicienne toute puissante, elle a jadis tenté de régenter la vie des simples mortels qui l’entouraient, puis elle a refusé d’y intervenir par peur des conséquences. Cependant, Briann, qui a jadis traversé les siècles pour lui venir en aide, occupe une place spéciale dans son cœur et elle finit toujours par le secourir, de guerres en pèlerinages, pour le meilleur et pour le pire.
Ce résumé ne rend malheureusement pas justice à la complexité de l’histoire, portée par une quantité phénoménale de détails qui enchantent et dépaysent. J’ai été estomaquée en mesurant la quantité de recherches que cette trilogie a demandé. Les étapes du pèlerinage, les langues (notamment l’occitan et le breton), les différences de la vie matérielle selon les régions (foyers ouverts à l’ancienne ou couverts à la romane), les forteresses, les lieux de culte, les étendards, les champs de bataille… Tout prend vie sous nos yeux et sous la plume de l’auteure, juste assez différents, juste assez évoqués pour qu’on s’en forme une image unique.
Certes, le foisonnement des détails peut parfois perdre le lecteur, qui aurait sans doute apprécié une liste de personnages ou des rappels discrets des rôles de ceux-ci. La force de certaines révélations tant attendues est amoindrie lorsque les indices, éparpillés sur trois tomes, ont été en partie oubliés. De même, durant les batailles, une carte détaillée du terrain, ainsi qu’une liste des troupes en présence, avec nom, prénom et titre de leur commandant, aurait parfois été utile. Cependant, la confusion ajoute au réalisme : avec les moyens de l’époque, une bataille pouvait rapidement devenir un chaos difficile à envisager et la vie n’est pas un long fleuve tranquille où nous saisissons d’emblée toutes les implications des événements.
De toute manière, et c’est toute l’originalité de cette trilogie, le récit, découvre-t-on peu à peu, ne dépend pas seulement des personnages, mais également des Puissances de l’Entremondes, dont les machinations ne sont visibles que par leurs répercussions. Briann, Guillem, Rébecca (et le lecteur avec eux !) sont des fétus de paille emportés par des forces qui les dépassent, mais qui s’agrippent tant bien que mal afin de survivre. Cette dimension de l’histoire lui donne une portée particulièrement touchante, car, après tout, n’est-ce pas notre destin à tous ?
Je dois vous faire une confession : avant même de lire Les Pierres et les Roses pour en rédiger les critiques, j’avais parcouru une version de travail de la trilogie, en tant que première lectrice. Cela ne m’avait rendue que plus impatiente d’en dévorer la version finale ! Étant à une époque de ma vie où j’ai rarement le temps de relire les livres qui m’enchantent (et où je n’ai même pas toujours le loisir de choisir mes lectures), je me sens privilégiée d’avoir pu me plonger deux fois dans l’univers des Saints Gémeaux et de leur énigmatique Divinité. Je crois qu’il mérite que tous les lecteurs le visitent au moins aussi souvent ! Élisabeth Vonarburg nous offre, avec cette trilogie, un pur délice pour tous les amateurs de fantasy.
Geneviève BLOUIN