Éric Gauthier, Le Saint Patron des plans foireux (Fa)
Éric Gauthier
Le Saint Patron des plans foireux
Lévis, Alire (GF), 2019, 448 p.
Philippe Sigouin, que tout le monde appelle Sigouin, est un habitué des petites combines. Avec son grand frère Yannick, il vivote de larcins en entourloupes, jusqu’au jour où son grand frère le trahit. Sigouin décide alors de travailler en solo, ou presque. En effet, pour son premier coup, c’est Hortensia, une antiquaire peu scrupuleuse, qui lui propose une affaire qui pourrait rapporter gros. Tout ce qu’il a à faire, c’est réussir à faire entrer au pays un squelette complet, incluant ses bijoux – la relique de saint Déodatus – et de le remettre à son acheteur. Facile, non ? Pas si on y ajoute un trio de cultistes maladroits, une mystérieuse étudiante en langues mortes, un client colérique et deux ou trois mafieux. Sigouin en aura plein les bras, surtout lorsqu’il assistera à un miracle aussi improbable que problématique…
Sous la couverture au kitsch clinquant et assumé de Pascal Colpron se cache une série de péripéties plus rocambolesques et absurdes les unes que les autres. Si on dit souvent que la réalité dépasse la fiction, Éric Gauthier nous offre ici la preuve que parfois, c’est complètement faux.
Soyons honnêtes, n’importe qui d’autre se serait cassé les dents sur ce récit aux rebondissements aussi nombreux que difficiles à croire. Pourtant, le talent de conteur de Gauthier lui permet de mener le lecteur par le bout du nez, alors que le pauvre Sigouin s’enfonce toujours plus dans ses magouilles, au gré des rencontres, parfois brutales, qu’il fait dans sa quête pour prouver à tout le monde – mais surtout à son frère Yannick et à lui-même – qu’il a la trempe d’un criminel de génie.
Évolue autour de Sigouin une faune bigarrée et étrangement attachante. Les nombreux personnages secondaires sont bien développés et chacun trouve sa place dans ce ballet à mi-chemin entre le burlesque et le pathétique. On regarde le tout se dérouler avec un sentiment sans cesse grandissant d’émerveillement hébété. Chaque fois qu’un nouvel obstacle survient, on ne peut s’empêcher de se demander comment Sigouin parviendra à s’en sortir. Immanquablement, la réponse est : en s’enfonçant davantage, pour notre plus grand plaisir !
Qui d’autre qu’Éric Gauthier aurait pu transposer une sainte relique soudainement animée dans l’un des quartiers les plus miséreux de Montréal avec autant de réalisme ? Parce que c’est là une des grandes forces de ce roman de presque 500 pages : on ne cesse jamais de croire à cette improbable épopée, peu importent les revirements et les coups fourrés. C’est aussi dans le fantastique diffus qui traverse le récit qu’on retrouve la trace d’Éric Gauthier le conteur. Il ne lui en faut pas beaucoup pour tordre joyeusement les repères de ses personnages – et par le fait même de ses lecteurs.
Tout au long de ma lecture, j’entendais la voix grave et profonde de l’auteur-conteur me raconter son histoire. Je l’imaginais, sourire en coin et une étincelle rieuse dans les yeux, en train de me mener en bateau avec mon consentement éclairé. Puis, une fois la dernière page tournée, je me suis réveillé, et j’en ai conclu que tout ceci était tout bonnement impossible. C’est alors que j’ai cru entendre Éric Gauthier me demander doucement : « En es-tu vraiment certain ? »
Pierre-Alexandre BONIN