Magali Laurent, Âmes insoumises (BOA -3) (SF)
Magali Laurent
Âmes insoumises (B.O.A. -3)
Boucherville, De Mortagne, 2018, 523 p.
Oxana doit faire le deuil de son frère Alex, qu’elle a euthanasié pour éviter qu’il ne se transforme en Charognard. Cléo doit faire le deuil de son immortalité, mais aussi de son apparence physique, après avoir été défigurée en tentant d’échapper à Killian Steel, son ravisseur et demi-frère. Denys refuse de faire son deuil de Cléo, qui refuse de le voir, parce qu’elle est physiquement et psychologiquement brisée. Samantha espère ne pas avoir à faire son deuil de l’amour qu’elle porte à Kim, même si cette dernière est emprisonnée dans sa folie, qui résulte des traitements subis aux mains de leurs nouveaux propriétaires. Mais ensemble, ils font partie de la résistance, et celle-ci a plus que jamais besoin des cinq immortels, alors que les Charognards émergent de plus en plus nombreux des souterrains de la ville. Est-ce que la vengeance sera une motivation suffisante pour les aider à surmonter leurs douleurs respectives ? Est-ce que Claudius Wolfe parviendra à ses fins, quelles qu’elles soient ?
Âmes insoumises marque la fin de la dystopie vampirique de Magali Laurent, et agrippe son lecteur dès les premières pages. On retrouve les survivants quelques jours après l’opération de sauvetage ratée qui terminait le tome 2, et personne n’en est sorti indemne, même si les immortels sont maintenant en sécurité.
La majorité des chapitres alternent entre Oxana et Cléo, même si les autres personnages ont droit à quelques chapitres, ou alors ils sont mentionnés dans ceux concernant les jeunes femmes. Contrairement au tome 2, il y a malgré tout un meilleur équilibre dans les points de vue, alors que Sam et Kim ont droit à une plus grande présence dans le roman. Évidemment, le fait que tout le monde soit regroupé au quartier général de la résistance facilite les choses, mais on sent une volonté de l’auteure de faire avancer toutes ses histoires.
Ce tome 3 s’avère beaucoup plus efficace et nerveux, tant dans l’écriture que dans le rythme du récit, ce qui est tout à fait bienvenu. À mesure que les pages défilent, on voit se profiler l’inéluctable conclusion, même si l’auteure a su garder quelques surprises pour la finale, qui n’a rien des fins explosives à grand déploiement qu’on retrouve habituellement dans les dystopies. Au contraire, Magali Laurent nous offre une fin en demi-teinte, où la résistance a certes fait des gains appréciables, mais où il reste beaucoup à faire. On apprécie particulièrement le fait que l’auteure a su anticiper les craintes et les doutes du lecteur, en verbalisant certaines évidences propres aux dystopies, dans les pensées de ses personnages. Cela a pour effet de désamorcer efficacement les critiques qui auraient pu être émises devant la finale proposée.
Du côté des personnages, Oxana est égale à elle-même, toujours aussi impulsive et émotivement immature. Par contre, on comprend mieux pourquoi elle se cache sous une carapace de colère et sa progression psychologique est bien amenée, même si elle parvient encore à agacer par sa faculté à se mettre systématiquement en danger. Cléo est le personnage le plus intéressant, en termes d’évolution. Si dans le tome 1 elle représentait l’antithèse d’Oxana, tant au niveau de la classe sociale que de la personnalité, la fille de William Steel renaît littéralement de ses cendres dans ce tome 3, et sa quête pour faire tomber la tête dirigeante de la Sang et Prestige est un arc narratif extrêmement efficace. Kim et Sam demeurent des personnages secondaires, mais l’auteure prend tout de même le temps de faire progresser leur histoire. Denys et Kael demeurent eux aussi des « valeurs sûres », même si le B.O.A. cache un secret qui ne surprendra pas vraiment le lecteur attentif, mais qui donne de la profondeur au personnage.
Alors qu’on reprochait à l’auteure de ne pas assez décrire Liberté et les autres lieux dans le tome 2, elle se rattrape joliment ici, alors que l’action se déroule dans les rues et les ruelles de la ville en proie à une pénurie de sang grandissante. Soulignons également le fait qu’elle introduit de manière discrète, mais bien faite, le monde pré-virus ainsi que la situation du monde au-delà de Liberté. C’est ce genre de détails qui fait d’Âmes insoumises un très bon roman.
Ce tome 3 conclut de manière satisfaisante la trilogie, ne laissant aucune trame narrative en suspens et offrant au lecteur la satisfaction d’une histoire rondement menée, mais réfléchie et pensée. Les actions de la résistance ainsi que celles des immortels ont eu des conséquences, qu’elles soient positives ou négatives, et tous devront vivre avec les conséquences de leurs actes, ce qu’ils semblent heureusement disposés à faire. Finalement, le fait que l’épilogue ne nous projette que deux mois plus tard et que l’auteure évite habilement le piège d’un nouveau système aussi injuste que celui qui a été mis à bas par la résistance est digne de mention et fait de B.O.A. une dystopie qui se distingue par l’originalité et l’intelligence de son propos.
Pierre-Alexandre BONIN