Marie Laporte (éd.), À l’Est de l’apocalypse (SF)
Marie Laporte (éd.)
À l’Est de l’apocalypse – Nouvelles de la déconnexion
Sherbrooke, Les Six Brumes, 2019, 168 p.
Imaginez que, le 16 octobre prochain, tout cesse de fonctionner. Les lumières s’éteignent, les voitures s’immobilisent, les avions tombent du ciel, les batteries fondent. Vous êtes de passage en Estrie. Et vous y resterez. Probablement pour les générations à venir, puisque vous n’avez plus de moyens de transport. Vous ne comprendrez pas comment cette catastrophe est arrivée, mais vous aurez un objectif clair : vous adapter et survivre. Au moins, vous êtes dans une région aux terres fertiles, ça devrait vous donner une chance…
Voilà le point de départ qui fut donné par Marie Laporte aux auteurs du recueil À l’Est de l’apocalypse. L’ouvrage est paru en édition limitée aux Six Brumes à l’occasion du dernier Congrès Boréal qui fêtait ses 40 ans… à Sherbrooke. Les auteurs, tous originaires de l’Estrie ou y ayant résidé, ont tissé leurs récits autour de cette Grande Déplogue et de la géographie de la région.
Les anthologies à plumes multiples présentent toujours des inégalités de ton, d’ambiance et d’intérêt, qui peuvent parfois agacer le lecteur. Dans À l’Est de l’apocalypse, cet écueil a été ingénieusement contourné par l’insertion, entre les nouvelles proprement dites, de fragments (écrits par l’un ou l’autre des auteurs) qui lient l’ensemble des textes en une trame narrative plus large, étalée sur près d’un siècle, et tirent profit de la disparité des voix pour créer un effet choral. Quelques nouvelles font également référence à des personnages des textes précédents, ce qui renforce le maillage… et le plaisir du lecteur !
Je vous mets au défi de ne pas sourire en lisant les aventures des voleurs de télévisions du « Fragment 3 », écrit par Éric Gauthier, ou de ne pas avoir envie d’emménager avec ses bohèmes sympathiques rencontrés dans le « Livre de trop ». Sous la plume de Gauthier, les lendemains de la Grande Déplogue s’annoncent difficiles, mais humains. Enfin, si on oublie cette histoire de fanatiques religieux qui plane à l’horizon…
Les trois nouvelles suivantes sont moins réjouissantes. L’éditrice du recueil, Marie Laporte, nous entraîne dans un « Réveillon » fantastique qui montre que, technologie ou pas, les secrets de famille reviennent toujours nous hanter. « Gloria », la sorcière-herboriste d’Élisabeth Tremblay, laisse d’abord penser qu’un futur confortable et sain est possible sans électricité, surtout si on a un chien pour veiller sur soi… puis le texte nous rappelle qu’en l’absence de médecine moderne, la moindre inattention peut être fatale. « La Chiromancienne » de Pierre-Alexandre Bachand reprend les mêmes thèmes, avec en prime un retour de la menace religieuse.
On avance ensuite dans le temps. Quarante ans après la déconnexion, les changements se sont poursuivis. Des épidémies sévissent. L’une d’elles a lancé sur la route les personnages de « Acousmatique » de Raphaëlle B. Adam. Ces anciens musiciens cherchent à gagner le centre-ville de Sherbrooke, où on prétend que la vie s’est réorganisée autour d’une mairie. En chemin, ils trouvent refuge dans une église reconvertie en salle de spectacle où murmurent encore les échos du passé. Cette histoire délicieusement glaçante prend une note tragique lorsque « Paréidolie » de Véronique Drouin nous révèle quel maire cruel et sadique règne désormais sur Sherbrooke. Sa touchante protagoniste anonyme arrivera-t-elle à renverser la situation ?
Le recueil se conclut avec un nouveau bond dans le temps. Quatre-vingts années après la fin de l’électricité, le règne des chaudières à vapeur a repris dans « La Cage » de Carl Rocheleau… Et on se demande comment l’humanité peut avoir aussi peu appris de ses erreurs ! Certes, des rebelles veillent à la remettre en bonne voie, mais (et c’est mon seul véritable reproche au recueil) on aurait pu souhaiter une conclusion plus optimiste.
Qu’à cela ne tienne, À l’Est de l’apocalypse est un collectif original et prenant, qui vous fera passer un bon moment ! Il vous donnera peut-être même envie d’imaginer ce qui se produirait lors d’une Grande Déplogue près de chez vous.
Geneviève BLOUIN