Marilyne Fortin, Le Potager (SF)
Marilyne Fortin
Le Potager
Montréal, Québec Amérique, 2017, 341 p.
Imaginez la série The Walking Dead si le bébé, Judith, n’était pas un genre de plante verte qui n’émet jamais un son, mais plutôt un enfant normal qui pleure, pique des crises, touche à tout… Ça ne vous évoque rien ? Essayez plutôt The Road, mais avec un bambin de trois ans pas tout à fait propre… Vous avez toujours du mal à obtenir une image claire ? Alors lisez Le Potager de Marilyne Fortin ! Parce que c’est exactement ce qu’on y retrouve : un récit d’apocalypse, avec de jeunes enfants.
Cette apocalypse s’est installée doucement, insidieusement, sous la forme d’une épidémie (inspirée, ai-je lu dans une entrevue de l’auteure, par la récente flambée d’Ebola, mais on voit également des parentés avec la peste noire, d’ailleurs évoquée dans le récit). Le virus est hautement contagieux et mortel. Les mises en quarantaine et la mortalité ont peu à peu désorganisé la société. Les écoles ont été fermées, de même que les transports en commun, tandis que les hôpitaux sont devenus infréquentables. L’approvisionnement est difficile et les denrées, rationnées, sont gérées par des épiceries transformées en centre de distribution. Le carburant n’est plus vendu aux particuliers. Internet ne répond plus, hormis le site du gouvernement et sa lourde propagande.
Caroline, personnage principal du récit, et sa famille n’ont pas été touchés par le virus. Cependant, le collège où Caroline enseignait a fermé ses portes, de même que la garderie de ses deux garçons. Seul son mari, Samuel, occupe encore son emploi, à l’usine de filtration d’eau. Toute la famille applique les strictes mesures anticontagion préconisées par le gouvernement : ils restent à une distance de deux mètres des étrangers, portent des gants de latex et un masque pour sortir, en plus de limiter leurs déplacements. Au début du récit, on les voit tenter de maintenir un semblant de normalité. Samuel boit son café le matin et consulte les dernières nouvelles sur le site du gouvernement avant de partir travailler à vélo. Caroline s’efforce pendant ce temps de juguler ses crises angoisses, malgré l’épuisement de sa réserve de médicaments, d’amuser ses enfants et d’apprendre la propreté à son cadet.
Puis une voisine propose d’organiser un potager communautaire, au moment même où des pénuries commencent à apparaître dans les centres de distribution. Caroline plonge sans hésiter dans l’aventure, même si son mari est réticent. Samuel, qui nage en plein déni, croit en effet que tout reviendra bientôt à la normale. Évidemment, ce potager attirera bientôt les convoitises, alors il faudra le clôturer, le patrouiller, le garder et, ultimement, se battre pour le conserver.
J’ai trouvé délectable cette histoire d’apocalypse dont on ne mesure pas l’ampleur avant d’y être confronté, d’entraide entre voisins et de maman angoissée qui s’efforce d’organiser une vie normale pour ses enfants, même quand l’électricité et la nourriture viennent à manquer. La maman banlieusarde (et passablement anxieuse) que je suis y a trouvé un écho parfois charmant, parfois oppressant, mais toujours juste. L’écriture, simple et limpide, participe au plaisir.
Cependant, j’ai aussi eu l’impression, par moment, que le récit avait un petit je-ne-sais-quoi de naïf. Est-ce en raison des capsules historiques, qui semblent sorties d’un cahier d’écolier ? Parce que les organisateurs du potager sont plutôt caricaturaux ? Parce que Samuel présente une rationalité variable, logique lorsqu’il s’agit de risques sanitaires, mais aveugle aux questions de nutrition ou de protection ? Ou parce que Caroline est, au fond, très passive ? Certes, une fois poussée dans la bonne direction (le jardinage ou la fuite ou le combat), elle pose les bons gestes, mais cet élan vient rarement d’elle.
Peu importe : Le Potager m’a procuré un bon moment de lecture. C’est une histoire lumineuse malgré son sujet sombre, dans laquelle tout parent se reconnaîtra et qui les amènera à se demander ce qu’ils feraient dans la même situation. Je ne sais pas pour eux, mais, pour ma part, je crois que je vais commencer à cultiver des légumes…
Geneviève BLOUIN