Mathieu Villeneuve, Borealium Tremens (Fa)
Mathieu Villeneuve
Borealium Tremens
Chicoutimi, La Peuplade, 2017, 347 p.
Le grand malheur de ma vie de critique, c’est de constater, après dix pages, que le roman entamé n’est pas pour moi et que je ne tirerai aucun plaisir de sa lecture. Si c’était un livre qui m’appartient, je le refermerais et je le rangerais, en me disant que je lui donnerai à nouveau une chance dans quelques années (même si, je dois l’admettre, je n’ai pas souvenir d’être déjà revenue avec succès à l’une de ces lectures abandonnées). Cependant, il est hors de question d’agir ainsi avec un roman à critiquer ! Je dois plutôt m’atteler à la tâche, m’efforcer de mettre mes goûts personnels en veilleuse et plonger, coûte que coûte, dans ma lecture. Bon, vous l’aurez deviné par ce long préambule : Borealium Tremens de Mathieu Villeneuve tombait, malheureusement pour lui, dans cette catégorie des romans qui ne sont pas pour moi.
C’est l’histoire d’un jeune homme instable, David, aux multiples dépendances et aux ambitions littéraires, qui hérite d’un bout de terre dans son Saguenay natal. Il a perdu ses parents dans le déluge de 1996. Il a déjà, on le comprend à demi-mot, été victime d’une psychose. La terre, lui dit-on, est inculte, la maison jadis incendiée pourrit sur pied, une malédiction pèse sur sa lignée et ses voisins jalousent son héritage. Oh et il y a, dans les bois, une épidémie de tiques qui rend les orignaux fous et les poussent à attaquer les humains. Qu’à cela ne tienne, notre jeune homme recrute son frère et la copine de celui-ci, une amie d’enfance que David convoite aussi, puis va s’encabaner avec eux dans la ruine moisie afin d’apprendre à cultiver et d’écrire enfin son roman de la terre. David pense, pendant un quart de page, profiter de l’occasion pour se sevrer de l’alcool et des drogues qu’il consomme, mais c’est sans compter sur son frère, qui a amené de la bière et du fort.
On devine déjà que David ne gardera pas longtemps contact avec la réalité. Et ça pourrait aller, car, après tout, le doute au sujet de la santé mentale du personnage est un élément important de la littérature fantastique. Seulement, ici, il n’y a pas de doute. David sombre rapidement, et clairement, dans la folie et les hallucinations. Parfois, certains de ses délires semblent partagés par d’autres protagonistes, souvent sous l’influence d’alcool, de la drogue ou de leur propre mythomanie, mais il reste difficile d’y voir une vraie dimension fantastique, car il est ardu de départager la réalité des fantasmes ou des moments de créativité littéraire de David. Nous sommes plutôt dans le roman noir, la spirale autodestructrice d’un homme et de toute une région, qui se sent méprisée, sacrifiée par une civilisation qui ne comprend pas sa démesure. Cela plaira à certains lecteurs, je n’en doute pas, mais disons que ça ne m’a pas donné pas envie de déménager au Saguenay !
Le point fort de ce roman, pour moi, est la plume de l’auteur. Les passages descriptifs sont superbes. La forêt, la maison brûlée, les champs boueux, les lacs, tout cela prend vie pour le lecteur. Sur le plan narratif, Mathieu Villeneuve a eu un trait de génie lorsqu’il a décidé d’alterner des passages où David narre son histoire à la première personne avec des moments où les actions du personnage nous sont plutôt contées à la troisième personne. On sent la dissociation vécue peu à peu par David, la folie qui s’empare de lui. Comme je le disais plus tôt, il devient vite impossible pour le lecteur de départager le vrai du faux, l’hallucination de la création, l’hypothèse de la réalité. Pour ceux qui aiment perdre leurs repères, c’est franchement réussi. Toutefois, les dialogues, quant à eux, manquent de naturel, il y a peu de subtilité, pas de sous-texte. Et les explications généalogiques de tout ce beau monde occupent beaucoup trop de place ! Surtout lorsqu’on découvre, après avoir subi vingt pages d’histoire familiale, qu’il nous en manquait encore des bouts.
Bref, si vous aimez les romans de fantastique noirs où la folie est le moteur de l’intrigue, ce récit de terroir halluciné est pour vous. Si, comme moi, vous avez peu de compassion pour les personnages autodestructeurs et n’avez pas envie de les suivre dans leurs délires, passez votre chemin.
Geneviève BLOUIN