Plusieurs tomes de la série Menvatts (SF)
Dominic Bellavance
Menvatts : Immortels
AdA (Corbeau), 2019, 302 p.
Nadine Bertholet et Isabelle Lauzon
Menvatts : Allégeances
AdA (Corbeau), 2019, 250 p.
Mathieu Fortin
Menvatts : Héritage maudit
AdA (Corbeau), 2019, 278 p.
Jonathan Reynolds
Menvatts : Deux regards sur l’éternité
AdA (Corbeau), 2019, 189 p.
Dans un futur dystopique, le Gouvernement Légitime sert ses propres intérêts, au détriment de sa population. Sur le cinquième continent, la pauvreté est endémique et les Arcurides, forces policières de l’État, font régner la terreur dans les rues de la Quadri-Métropole. Face à eux, les Odi-Menvatts, des « Clowns Vengeurs » qui permettent au commun des mortels d’exiger vengeance contre une somme d’argent. Au cœur de la Cité Blanche, ils forment le Gouvernement Illégitime et s’opposent aux Arcurides, par tous les moyens, y compris la violence.
Cet univers glauque et futuriste est celui imaginé par Michel J. Lévesque dans quatre nouvelles publiées dans les revues Solaris et Brins d’éternité entre 2004 et 2006. Puis, en 2012, les éditions Porte-Bonheur publient les premiers romans dans le monde des Menvatts : Valse macabre, de Guy Bergeron, Concertos pour Odi-Menvatts, de Michel J. Lévesque, La Volonté d’Odi, de Mathieu Fortin, Les Couloirs de l’éternité, de Jonathan Reynolds et L’Initié, de Pierre H. Charron. Au total, ce sont 11 romans qui seront publiés entre 2012 et 2015.
Les éditions AdA reprennent la série après la faillite de Porte-Bonheur, en proposant un visuel revu pour les couvertures, ainsi que le regroupement de certaines histoires initialement parues en plusieurs tomes dans un volume unique. L’ordre de publication est également différent de celui de 2012.
Tout d’abord, saluons l’initiative d’AdA, qui reprend une série qui n’a pas eu toute la visibilité qu’elle méritait à l’époque de sa sortie initiale. Dans le paysage éditorial québécois, les rééditions chez un autre éditeur sont rares, encore plus lorsqu’il s’agit d’un projet porté par plusieurs auteurs différents. Et disons-le d’emblée, l’univers mis en place par Michel J. Lévesque est toujours aussi fascinant et pertinent, plus de dix ans après la publication des nouvelles fondatrices.
De manière générale, les quatre premiers romans de la nouvelle mouture proposent une intrigue solide. Nadine Bertholet et Isabelle Lauzon forment un duo efficace où il est impossible de séparer l’écriture de l’une et de l’autre. Si les différentes parties qui forment Allégeances peuvent avoir l’air d’une série de courts récits, certains éléments viennent rattacher l’ensemble en un tout cohérent.
De son côté, Jonathan Reynolds nous propose deux histoires qui semblent n’avoir rien en commun. Pourtant, une révélation dans le dernier tiers du roman vient expliquer le lien entre les deux intrigues en plus de surprendre le lecteur qui s’est laissé prendre au piège.
Le roman de Dominic Bellavance est le plus gros en termes de pages, puisqu’il regroupe en un seul volume une histoire qui avait initialement été publiée en deux livres. C’est l’intrigue la plus « américaine » des quatre, avec de nombreuses scènes d’action et un rythme qui ne laisse aucun répit au lecteur.
Finalement, Mathieu Fortin propose lui aussi une intrigue précédemment séparée en deux tomes et maintenant regroupée en un seul. Malgré certaines longueurs probablement dues à cette réunification, c’est un roman qui s’insère très bien dans l’univers des Arcurides et des Menvatts.
Les lecteurs familiers avec la Quadri-Métropole, le Gouvernement Légitime et le monastère de la Cité Blanche dédié au Culte d’Odi seront ici en terrain connu, même si un travail a été fait de la part des auteurs pour retravailler leurs romans respectifs. Par contre, les néophytes auront peut-être davantage de difficulté à s’immerger pleinement dans cet univers glauque et sans pitié.
En effet, on regrette l’absence totale de tout dispositif paratextuel expliquant le monde des Clowns Vengeurs. Pas d’introduction signée Michel J. Lévesque, pas de glossaire, pas de cartes des différentes régions, pas de diagramme expliquant la hiérarchie et les différents groupes d’Arcurides et de Menvatts. Le lecteur est laissé à lui-même et c’est une véritable occasion manquée pour AdA, qui aurait pu (dû ?) profiter de cette réédition pour proposer un appareil critique qui aurait bonifié l’ensemble de la série.
Pourquoi ne pas avoir publié en simultané les quatre nouvelles de Lévesque ? Et pourquoi diable ne pas avoir réédité ou à tout le moins intégré aux quatre romans l’excellent guide écrit à l’époque par Isabelle Lauzon, et qui expliquait les tenants et aboutissants de cet univers riche et complexe ? C’est d’autant plus dommage que les nouvelles couvertures donnent une identité visuelle cohérente et très forte à la série.
Techniquement, rien dans le paratexte des romans n’indique une quelconque réécriture de la part des auteurs et autrices pour la réédition de leurs œuvres. Honnêtement, les quatre livres auraient gagné à faire les frais d’une solide direction littéraire. Elle aurait pu uniformiser certaines manières de faire (l’exemple le plus frappant est celui de l’utilisation de note de bas de page dans Allégeances, de Bertholet et Lauzon, pour expliquer certains concepts, mais qu’on ne retrouve dans aucun des trois autres romans. D’ailleurs, l’une de ces notes renvoie à un autre roman pour expliquer un concept, mais il n’en est jamais fait mention dans l’œuvre concernée !) et diminuer grandement l’utilisation de novums technologiques qui ne sont jamais expliqués et dont la présence se résume souvent à expliciter l’appartenance des romans à la science-fiction.
Par ailleurs, soulignons le laxisme effarant de la révision linguistique, alors que de nombreuses erreurs sautent aux yeux dans les quatre romans. Espaces en trop, coquilles, mots trop vagues, on a l’impression que la correction a été faite les yeux fermés tant les problèmes abondent. C’est à la fois un manque de respect pour les auteurs, auxquels on ne rend pas justice, et pour le lecteur, qui est en droit de s’attendre à une production de qualité, peu importe l’éditeur.
Bref, c’est une réédition en demi-teinte que nous offrent les éditions AdA avec cette nouvelle mouture des Clowns Vengeurs. Si on est heureux de retrouver un univers riche et complexe sous la plume d’auteurs habitués aux genres de l’imaginaire, on déplore le manque de vision globale de l’éditeur, qui aurait pu élever la barre en proposant un appareil critique nécessaire et pertinent, sans mentionner une direction littéraire et une révision linguistique dignes de ce nom. Malgré tout, on espère que d’autres tomes suivront, ne serait-ce que pour prolonger le plaisir de voir Arcurides et Menvatts s’affronter au cœur de la Quadri-Métropole.
Pierre-Alexandre BONIN