Stéphane Dompierre (dir.), Monstres et fantômes (Hy)
Collectif (dir. Stéphane Dompierre)
Monstres et fantômes
Montréal, Québec Amérique (La Shop), 2018, 349 p.
Malgré une offre de plus en plus diversifiée et intéressante, l’horreur est encore et toujours le parent pauvre des littératures de l’imaginaire au Québec. Chaque parution mérite donc qu’on s’y attarde avec attention, surtout lorsqu’il s’agit d’un collectif entièrement féminin qui regroupe quinze plumes bien connues de la littérature québécoise. C’est ce que nous offre Stéphane Dompierre, le directeur de Monstres et fantômes, où il a réuni des voix aussi différentes qu’uniques. Comme il l’a fait pour ses recueils de nouvelles érotiques également publiés chez Québec Amérique, Dompierre a lancé un défi à des auteures qui ne sont pas nécessairement familières avec le genre. Si certaines nouvelles sont de véritables pépites, l’ensemble n’est malheureusement pas à la hauteur des attentes.
L’horreur n’est pas un genre facile à maîtriser, puisqu’il n’a pas de codes aussi précis que le roman policier et la science-fiction, et qu’il a des frontières poreuses avec le fantastique sans en dépendre entièrement. Et puisqu’il s’agit de nouvelles, les auteures doivent rapidement montrer leurs couleurs pour un effet maximal sur le lecteur. C’est là où plusieurs textes ne parviennent pas à se démarquer. Entendons-nous, il n’y a aucun problème de style ici, toutes les nouvelles sont très bien écrites. Sauf qu’à de nombreuses occasions, on a l’impression que la forme prend le dessus sur le fond.
Soit l’horreur y est trop subtile pour être efficace, comme si l’auteure n’avait pas osé s’approprier pleinement la noirceur de son thème, soit elle survient à la toute fin de la nouvelle, comme si on voulait justifier sa présence dans le recueil alors que tout le reste aurait pu passer pour de la littérature blanche.
Par contre, les nouvelles efficaces compensent amplement celles qui nous apparaissent plus faibles en termes d’offrandes horrifiques. On y retrouve des perles de noirceur, de gore et de malaise. Il y a définitivement des auteures qu’on voudrait voir s’essayer au roman d’horreur en solo tant leur texte nous a marqué. « Love will tear us apart », de Marie Demers, est la première histoire à atteindre franchement sa cible. Elle y aborde le rapport à la maternité, mais aussi le culte du corps et de la jeunesse avec un humour grinçant et une plume acide à souhait.
Tout de suite après, Geneviève Janelle nous percute de plein fouet avec « Et le mal, et la mère », où le lecteur est confronté à l’ultime sacrifice d’une mère. C’est un tour de force littéraire qui mêle habilement le fantastique et l’horreur pour former un piège implacable, tant pour la protagoniste que pour le lecteur.
Avec « Le Chat noir et autres contes », Maude Nepveu-Villeneuve rend un hommage réussi à Edgar Allan Poe, tout en se réappropriant de manière efficace la peur de l’agression quand on est une femme. L’utilisation du cadre réaliste d’un cégep lui permet également de proposer un huis clos étonnant qui donne froid dans le dos.
Erika Soucy s’en donne à cœur joie dans la réjouissante « Amigore Express ». Comme le titre l’indique, on a droit à du covoiturage extrême où le gore explose dans toute sa magnificence. C’est l’un des textes les plus jouissifs du recueil, du moins pour les amateurs du genre ! Soucy mêle habilement le réalisme cru à l’absurde pour un résultat brillant.
Dans « Paréidolies », Mélissa Verreault réussit à utiliser à son plein potentiel une narratrice non fiable. C’est exécuté de main de maître et on pourrait utiliser sa nouvelle pour expliquer le concept dans un cours de littérature. Oui, c’est réussi à ce point, et votre humble serviteur ne sait toujours pas, au moment d’écrire ces lignes, si la narratrice avait raison ou pas.
La maternité est le thème le plus exploité du recueil, puisqu’elle est également au centre de « Les Renégates », de Fanny Bloom. Mais l’auteure parvient à surprendre son lecteur avec une chute qui nous frappe droit au cœur, après une montée dramatique impossible à oublier. Les parents de jeunes enfants y seront particulièrement vulnérables et devraient aborder cette histoire avec précaution. Oui, elle est efficace à ce point, et on en est heureux.
Marie-Hélène Larochelle nous offre une deuxième portion de gore avec « Crudité », dans laquelle une date Tinder tourne au cauchemar alimentaire. Nous recommandons fortement d’attendre une heure après avoir mangé avant de lire ce texte, sous peine de provoquer un incident vomitif (comme ils le disent de manière si poétique dans les cours de natation pour enfants). C’est cru, direct et par-dessus tout, sans aucune justification, ce qui rend la chute de la nouvelle encore plus percutante.
C’est à Catherine Côté qu’est revenue la tâche délicate de clore le recueil. Et elle y parvient d’une main de maître (ou du maître ?) avec un hommage éclatant à Jessie, de Stephen King. Non seulement elle parvient à reprendre le huis clos angoissant et à le condenser en quelques pages, mais elle se réapproprie l’intrigue du roman de King pour en proposer une version sous amphétamines. La narration est hyperactive, aidée par une mise en page minimaliste avec de longs blocs de textes où la ponctuation est réduite au strict minimum et qui sont régulièrement interrompus par de courts bouts de phrase en majuscule. Le résultat est… essoufflant et on en aurait pris encore.
Monstres et fantômes n’est pas un recueil parfait, et on aurait aimé que des voix féminines plus connues de l’horreur Made in Québec soient présentes au sommaire (on pense entre autres à Ariane Gélinas ou encore Natasha Beaulieu). Mais la volonté de Stéphane Dompierre, qu’il a exprimé sur sa page Facebook, de donner la parole à des femmes qui n’étaient pas nécessairement familières avec l’horreur se défend, et c’est tout à son honneur d’avoir réuni quinze plumes féminines pour nous conter des peurs. Cela a permis d’aborder des thématiques différentes, parfois plus intimistes, mais toutes résolument ancrées dans l’expérience de ce qu’est être une femme. Et pour ça, on ne peut qu’applaudir et en redemander.
Pierre-Alexandre BONIN