Withney St-Onge et Stéphanie Sylvain, Déviance (SF)
Withney St-Onge et Stéphanie Sylvain
Déviance
Varennes, AdA (Corbeau), 2019, 250 p.
Premier roman à quatre mains pour Withney St-Onge et Stéphanie Sylvain, Déviance nous entraîne dans un futur dystopique en terre québécoise. Nous sommes en 2102 à Montréal. L’eau coûte plus cher que le pétrole et le soleil brûle la peau, la pluie est acide et vraiment dangereuse quand elle tombe du ciel. L’humanité est prise dans un monde pollué au-delà de toute mesure et chacun survit comme il le peut.
La famille Boudreau, composée de délinquants notoires, vendeurs de dope sans scrupule regroupés autour d’une mère rendue à moitié sénile par la drogue, se compose de cinq gars et d’une fille. Largement soudés par les profits – et les risques de passer en justice – les Boudreau doivent faire face à leur plus grande menace. Qui n’est autre que le docteur Fortin, créateur de la molécule du caelum, la drogue qui rend accro à la première utilisation. Leur fonds de commerce. Fortin leur en veut à mort car les Boudreau l’ont volée dans ses laboratoires, il est donc prêt à tout pour avoir leur peau. Reste la police, qu’on soupçonne d’abord de pouvoir faire face aux gangsters en tout genre facilement, car à cette époque, tout un chacun est connecté depuis la naissance via sa carte CIN – unique –, véritable intégration neurale directe au descendant de l’Internet, ceci en temps réel. Comme on pouvait s’en douter avec la fortune que draine la vente de caelum, la police corrompue obéit davantage aux Boudreau qu’à la loi.
Ce roman est mené tambour battant autour de plusieurs personnages. Des conflits éclatent régulièrement entre frères et sœur, la percée de Zack, le frère aîné, dans la sphère politique provoque des remous. Les liens familiaux entre fraternité et tensions, rares valeurs et totale absence de scrupules sont bien rendus et donnent de l’épaisseur à des personnages parfois à peine esquissés. Dorothée, la seule fille de la gang, est un personnage central dont nous partageons les questionnements sur son origine, sa compassion pour une des femmes qu’elle fournit en dope la distingue du reste de la fratrie. D’autres fils se mettent en place autour d’un homme mystérieux et très sûr de lui, une psychologue indépendantiste québécoise (ah oui, le Québec est indépendant, mais pas forcément mieux loti que le reste du monde ou du Canada et c’est un élément secondaire de l’histoire qui contribue à sa profondeur). Les nombreux chassés-croisés entre personnages sont parfois un peu obscurs passé le dernier tiers du roman, mais la résolution finale apporte la clarté attendue. Il y a beaucoup d’éléments en mouvement et certains personnages auraient mérité davantage de développement pour gagner en crédibilité. La grande variabilité de ton et de style, parfois plus direct, parfois plus narratif donne à penser que la matière aurait gagné à être travaillée encore un peu, mais cela ne nuit pas à l’impact émotionnel et social du roman.
Pour conclure, Déviance est un roman certes perfectible, qui a l’avantage majeur de donner envie de tourner les pages pour savoir ce qui va advenir de ses personnages, tant attachants, comme Dorothée ou Emma, que pour voir ce qui arrive à ceux qui donnent l’envie de fuir tant ils sont ignobles… Mesdames Withney St-Onge et Stéphanie Sylvain : un duo plein de promesses à suivre de près !
Nathalie FAURE