Alain Raimbault, Sans gravité (Hy)
Alain Raimbault
Sans gravité
Québec, L’Instant même, 2020, 140 p.
« Et même si nos larmes sèchent, on continuera de mourir quand même. Sans beauté. »
Le sergent Martin Schwartz profite de la Première Guerre mondiale pour se débarrasser d’un ancien amant. Marco Millar, réparateur de systèmes informatiques et fan de romans policiers, crée un automate meurtrier, capable de commettre le crime parfait. L’existence de Mickey Ram, enseignant, bascule lorsqu’un de ses élèves le filme. Jeanne Philomène, nouvelle locataire d’un appartement, est persuadée que le tapis de son entrée est l’instrument du Diable. Pedro Chang est marié à la plus belle femme du monde, mais elle se refuse à lui. Transportant dans une valise le cadavre de Gaspar, le chien de son employeur, chez le vétérinaire, Andréa croit rencontrer l’amour de sa vie. Auguste, vieux poète incompris, tue sa femme en lui plantant une fourchette dans l’œil gauche. Josh, enviant l’existence de son ami Tyler, trouve une manière originale de l’assassiner. Philippe Tremblay fait de la destruction des surconsommateurs sa cause personnelle. Dakota Lambert, adolescente paumée, se venge de tous ceux qui lui ont fait du mal, armée d’une paire de patins à glace. La naissance de Dominique, étrange bébé doté d’une « membrane inconnue à l’entrejambe » et de « marques dans le dos », crée une hécatombe planétaire. À l’aide d’un jouet sexuel en forme d’œuf, Josy planifie sa vendetta. Une jeune fille met un terme définitif au problème de son petit frère, né handicapé. Alors qu’ils préparent leur première mission sur la Station spatiale internationale, Jad et Tatiana, astronautes, tombent amoureux. Jean Lévy, prisonnier de guerre, tente de survivre à la cruauté innommable de ses geôliers SS.
Quinze courtes nouvelles, comme quinze portraits d’une mort inévitable, ignoble, sans gravité. Dans ce recueil, Alain Raimbault se fait le médecin légiste de l’âme humaine, la découpant en tranches fines, pour nous en exposer les couleurs nécrosées et les morceaux en décomposition. Comme le fait remarquer Richard Tabbi dans la préface, « le meurtre, finalement, est l’activité la mieux partagée, dans tous les milieux, en tout temps ». Les protagonistes de Raimbault sont de divers horizons, d’âges et de sexes différents, mais ils partagent tous un intérêt pour le morbide, un attrait irrésistible pour l’hémoglobine. Serait-ce parce que nous dissimulons tous au fond de nous une violence insatiable, la potentialité de se transformer en assassin au gré des circonstances ? À voir comment dans « Un poète » un vieil homme sans histoire peut se métamorphoser en écorcheur professionnel après avoir tué sa femme d’un coup de fourchette ou alors, comme dans « En attendant le chat », comment une enfant aux airs innocents peut cacher une véritable psychopathe, on en vient à remettre en doute sa propre santé mentale. Le ressentiment inconscient que vous ressentez peut-être vis-à-vis de votre meilleur ami, lui qui a si bien réussi, qui a tant d’argent, une si jolie épouse, que pourrait-il vous amener à faire ? Resteriez-vous de marbre si votre mari vous trompait avec votre copine la plus proche, ou vous laisseriez-vous posséder par une froide vengeance ? Quitte à ce que rien ne se déroule tel que prévu, et que, comme d’habitude, les innocents succombent.
Il faut dire qu’Alain Raimbault maîtrise l’art de la nouvelle avec un rare talent. En l’espace de dix pages ou moins, il réussit à nous faire pénétrer la psyché de ses protagonistes, nous en dévoilant les contradictions et les fractures cachées. Aucun détail superflu, chaque élément qui nous est révélé sert à structurer l’inévitabilité de la chute, nous laissant pantois, les yeux rouges de désespoir au bord du précipice. À moins que vous ne soyez déjà à genoux, le reflux acide de vos tripes remontant dans votre œsophage devant l’obscénité de cette victime sans peau que, pour une fois, le meurtrier trouve « souple, douce, silencieuse, élastique ». Presque aimable.
Même dans les quelques nouvelles où l’auteur nous permet d’emprunter le point de vue d’innocents, il nous est impossible d’échapper à l’horreur. Notre sentiment d’impuissance atteint alors son paroxysme, car nous savons que le sort qui les attend sera d’autant pire qu’ils ne sont pas coupables. Dans « Être » – sans doute la nouvelle la plus originale du recueil – nous ne pourrons que regarder, immobiles, le nouveau-né Dominique être brûlé vif par ses adeptes. Cet enfant unique, capable déjà de s’exprimer au « je », dans lequel chacun voit le reflet de ses espérances, le Sauveur, peut-être même, ne survivra pas plus de quelques heures. Mais bon, à quoi d’autre pouvions-nous nous attendre ? Raimbault n’a cessé de nous le répéter : sur Terre, les miracles n’existent pas. Certainement pas pour nous, et encore moins pour les bébés.
Âmes en santé et cœurs sensibles s’abstenir ! Ne cherchez pas de héros ou de fins heureuses au détour de ces ruelles sanguinolentes. Seulement la faucheuse dans ses plus laids atours, absurde et nue, étranglant vos rêves entre ses doigts d’os.
Anaïs PAQUIN