Geneviève Blouin, Le Chasseur et autres noirceurs (Fa)
Geneviève Blouin
Le Chasseur et autres noirceurs
Sherbrooke, Les Six Brumes (Brumes de légende), 2020, 121 p.
Tout comme le héros de la nouvelle principale de ce recueil est aveugle, l’auteure déploie ici son talent de nouvelliste dans une seule tonalité : noire. Les cinq histoires donnent dans les noirceurs de l’âme humaine, dans ces replis largement inexplorés qui parfois, nous sautent au visage. Par contre, malgré ce thème plutôt lourd, il serait faux de dire que ces nouvelles le sont aussi. C’est l’agilité de la plume qui les rend légères.
La première, « Le Chasseur », est une réédition revue et corrigée de celle parue dans la collection Nova des Six Brumes en 2012. Ayant lu la version originale, j’ai été à même de comparer : l’originale était très bonne, la deuxième mouture est excellente. L’auteure a réussi à maintenir le haut niveau de sensation qui guide l’univers de son personnage principal, un aveugle adepte des arts martiaux mixtes. On perçoit le monde à travers ses autres sens, nommément, le toucher, l’ouïe et l’odorat, ce qui est tout un tour de force en écriture. L’intrigue en elle-même a été améliorée et n’en est que plus crédible, corrigeant ainsi le problème majeur de la première édition. L’image de la couverture (issue de l’imaginaire de la talentueuse Talhi Briones), représente bien le protagoniste en ce sens que le grillage peut autant représenter la cage des combats d’arts martiaux mixtes que la limitation avec laquelle il a à composer vu son handicap ou encore le toucher, l’un des sens qu’il utilisera le plus.
N’ayant pas précédemment lu les autres nouvelles du recueil, je les ai lues avec un œil neuf. « Le Double » raconte une histoire où un homme découvre qu’il est prêt à sacrifier un être humain qu’il méprise dans le but de sauver sa peau, mais se fera prendre au jeu des apparences trompeuses. La logique du double ici utilisée est intéressante, dans le sens qu’il s’agit de deux personnages attachés qui sont pris à parti par deux autres personnes qui pourraient être leurs doubles dans d’autres situations et l’effet est ainsi amplifié jusqu’au dénouement final. Le point de vue du narrateur étant unique, celui-ci nous bouleverse en démontrant l’amplitude du jeu des doubles.
La plus courte nouvelle du recueil, « Sentence incarnée », exploite avec brio l’idée orientale des vies antérieures qui serait appliquée de manière juridique. Vue la brièveté du texte, trop en parler serait trop en dévoiler, mais l’écriture ciselée sert très bien ce texte court, lui aussi avec une finale en coup de poing.
« Démonothérapie » est une nouvelle ambitieuse, très ambitieuse même et est à mon avis la nouvelle la moins aboutie du recueil. Elle présente un univers où les démons sont utilisés en médecine, les exorcismes courants et où la religion et la foi, avec toutes les limitations que cela suppose, sont obligatoires, faisant des athées des parias. Entre la course-poursuite avec un démon égaré et l’explication de l’univers qui a lieu en même temps, il y a un manque d’équilibre. Ceci dit, la nouvelle elle-même est intéressante à lire et vient jouer avec les notions de sacré, de foi et de religiosité de façon convaincante.
La dernière nouvelle du lot, inédite, « Le Déshonneur de Meiyo Jisatsu », est un hommage à la culture et à la littérature japonaise que chérit tant l’auteure. On nous y présente une histoire de meurtre, mais toute l’action est vécue à travers le procès qui est fait au meurtrier, lui-même défunt. C’est toute la subtilité de l’art japonais de communiquer, de nommer sans nommer, qui est ici mise à l’honneur. L’histoire est ancrée dans le tell plus que dans le show habituel, mais cela sert tellement bien le récit qu’on le remarque à peine. L’honneur est une notion essentielle de la culture japonaise et on en démonte ici les ressorts avec une minutie qui nous font voir sa large implication culturelle au-delà des seuls mots.
Personnellement, ce recueil est un coup de cœur, j’en recommande fortement la lecture.
Mariane CAYER