J.-F. Dubeau, Le Dieu caché (Fa)
J.-F. Dubeau
Le Dieu caché
Paris, Bragelonne (Terreur), 2020, 416 p.
Jean-François Dubeau est un auteur québécois au parcours atypique. Comme il écrit directement en anglais, ses deux premiers livres sont parus dans cette langue (The Life Engineered et The God in the Shed). Le Dieu caché, traduction française de ce dernier, est paru en France chez Bragelonne et il est distribué au Québec depuis octobre 2020.
Dans le prologue on découvre un petit village de l’Estrie, Saint-Ferdinand, en 1873. Un groupe de jeunes jouent dans les bois et découvrent une créature habitant une grotte. Celle-ci a le don de réaliser les vœux. L’être devient leur compagnon de jeu lors de cet été spécial. Jusqu’à ce qu’un des jeunes se mette à tricher, ce qui entraîne la colère de la créature.
L’histoire reprend ensuite de nos jours. L’inspecteur Stephen Crowley arrête enfin le tueur en série qui terrorise la ville depuis deux décennies. Il est surpris de découvrir que tout ce temps, le criminel était sous son nez : le vieil original de la place, Sam Finnegan. Seulement, cette arrestation qui aurait dû soulager une population apeurée enclenche une suite d’événements funestes.
En effet, le vieux Finnegan tuait pour garder prisonnier le dieu maléfique dont l’ombre plane depuis plus de cent ans sur le village. Maintenant libéré de son geôlier, le monstre peut répandre la terreur. Sauf que la jeune Vénus McKenzie va l’emprisonner malgré elle dans le cabanon de la maison familiale. Commence alors une étrange négociation entre l’adolescente et la créature millénaire. Pour compliquer le tout, un groupe mystique veut retrouver la créature pour l’asservir.
Le roman nous mène sur les pas de plusieurs personnages : Stephen Crowley, qui en sait plus qu’il ne le montre sur le monstre de Saint-Ferdinand ; son fils Daniel qui découvre peu à peu les terribles secrets de cette ville qui compte beaucoup trop de morts pour sa population ; Venus McKenzie qui développe une relation trouble avec le monstre ; son oncle Randy William, le médecin du village qui agit aussi à titre de légiste et qui, accessoirement, est initié aux arcanes magiques et bien d’autres.
Je ne connaissais pas J.-F. Dubeau avant la lecture de ce livre et, malgré ses imperfections, je suis bien heureux de la découverte. Je regrette seulement l’effet de traduction. Entendons-nous, il n’y a pas d’erreurs importantes du traducteur Benoît Domis, sauf qu’on a affaire à une traduction plus neutre qui gomme les réalités régionales québécoises. Cette histoire pourrait se passer dans n’importe quel village nord-américain. Cela dit, ce n’est pas un cas de traduction qui nuit au plaisir de lecture – comme dans certaines œuvres de Stephen King, surtout quand il est question de baseball. J’aurais juste souhaité y retrouver un peu plus du Québec.
Sur la couverture, l’éditeur fait une comparaison, en disant que le livre se trouve entre Stephen King et Stranger Things. Même si l’image est approximative, elle tient la route. Comme chez King ou dans la série de Netflix, l’auteur met en scène une petite ville et ses secrets qui reviennent la hanter. Il parvient d’ailleurs très bien à développer une intrigue qui s’étend sur plusieurs années et qui englobe de multiples intervenants. En termes de construction d’histoire, l’auteur a très bien réussi.
Parmi les forces, notons la qualité des dialogues. Il y a quelque chose de très cinématographique dans ce livre et cela passe beaucoup par le naturel avec lequel les personnages s’expriment. Les scènes de confrontation entre le démon et Venus McKenzie sont particulièrement efficaces.
Malgré le plaisir que j’ai retiré de cette lecture, on a là un livre qui ne va pas au bout de son potentiel. On sent encore le manque d’expérience de l’auteur dans différents aspects. D’abord, il y a une galerie importante de personnages, mais la plupart de ceux-ci ne sont pas assez développés, particulièrement le policier Stephen Crowley. Le problème n’est pas qu’il est antipathique – après tout, plusieurs personnages inoubliables le sont –, mais plutôt que ses motivations manquent de clarté et que sa psychologie reste trop rudimentaire.
Toutefois, il ne s’agit pas là du plus grand défaut à mon sens. Ce qui m’a le plus fasciné dans le livre, c’est l’histoire, sous l’histoire, les secrets de la ville. Hélas, on en apprend trop peu – et trop tard – sur les différents groupes occultes qui se sont succédé à Saint-Ferdinand et sur les guerres de pouvoir qui s’y jouent. À mon sens, il y avait là beaucoup de matière à développer. De mon côté, j’ai eu l’impression d’avoir été manipulé quand j’ai appris plusieurs pans de cette histoire secrète dans la deuxième moitié du livre alors que Stephen Crowley est bien au courant de ce qui se trame et que plusieurs chapitres sont racontés de son point de vue.
Dernier point plus faible : les scènes d’horreur. Si dans leur conception et leur aspect graphique, elles sont bien réussies, j’y ai décelé un problème en ce qui concerne l’exécution. On esquisse les scènes en quelques mots, quelques phrases, sans vraiment les faire vivre aux personnages (et au lecteur), ce qui fait en sorte qu’on n’en ressent pas le plein effet.
Le Dieu caché étant le premier tome d’une série, on a droit à une fin provisoire et il est normal que plusieurs intrigues ne soient pas complétées. Est-ce que je vais lire la suite ? Absolument. Malgré mes réserves, j’ai aimé qu’on ne soit pas simplement dans une opposition entre le bien et le mal, mais que chaque personnage ait sa zone d’ombre. Si dans l’exécution, on peut améliorer certains aspects, le découpage du récit et son rythme sont efficaces. L’auteur développe une montée dramatique qui nous force à tourner les pages les unes après les autres pour voir comment cela va se terminer. Et ça, pour un thriller fantastique, c’est probablement la plus importante qualité à avoir.
Pierre-Luc LAFRANCE