Josée Lepire, Mirage (SF)
Josée Lepire
Mirage
Lévis, Alire (GF 84), 2020, 564 p.
Depuis quelques années, les lecteurs assidus de la revue ont pu se régaler de la plume de Josée Lépire, qui a remporté deux prix Solaris avec des nouvelles de science-fiction où la technologie et les valeurs humanistes se confrontaient. Plusieurs (dont je suis) attendaient avec impatience qu’elle publie son premier roman. C’est maintenant chose faite : Mirage vient de se matérialiser grâce aux bons soins des éditions Alire.
Comme tous les Oasiens, Phan ne connaît du monde que le désert. Mais en proie à des « visions », elle a revécu dans une de celles-ci l’arrivée de ses ancêtres, les Nomades, qui ont fondé les Oasis. Or, contrairement à ce qu’on lui a enseigné, ces explorateurs ne sont pas arrivés à dos de dromadaires, mais bien dans des véhicules métalliques munis d’appareils sophistiqués afin de puiser l’eau dans le sol.
Environnement désertique, mélange de technologies anciennes et de visions prophétiques, eau précieuse… Dès ses premières pages, Mirage évoque Dune de Frank Hebert. Cependant, la comparaison reste limitée aux décors : Phan est une simple messagère (et non un messie), tandis que les sables du désert n’abritent nul monstre ou ressource secrète : ils sont bien assez menaçants en eux-mêmes. D’ailleurs, la relation des Oasiens à la nature aride qui les entoure est le déclencheur de l’intrigue de Mirage. Car les machines laissées par les Nomades (et gardées dans le plus grand secret) sont mal en point. Bientôt, elles cesseront de fonctionner et les puits des Oasis se tariront.
Deux solutions se présentent aux Oasiens : tenter de survivre sans les puits (et risquer de mourir) ou alors se rendre à l’Extérieur, briser leur isolement volontaire et tenter d’obtenir de l’aide pour réparer les pompes ancestrales. La seconde solution est finalement adoptée et Phan est choisie pour diriger la périlleuse mission.
De la fiction environnementale, le roman passe alors au choc des cultures. Les habitants du désert, à l’existence spartiate et très peu technologique, découvrent les paysages bleus et verts des Extérieurs, les gadgets intelligents et les excès de table de leurs habitants. Habitués à une économie communautariste, où les ressources sont mises en commun et distribuées selon les besoins, ils se heurtent à l’idéologie capitaliste des Extérieurs. Que peuvent-ils donner, leur demande-t-on, en échange de l’aide espérée ?
Rien, craignent-ils tout d’abord. Cependant, les gens des Extérieurs les corrigent bien vite : l’épidémie de visions prophétiques qui sévit dans les Oasis les intrigue et ils seraient prêts à échanger un territoire bien irrigué contre la population d’Hallucins. Après tout, ces gens incapables de contribuer au bien-être commun sont un poids mort pour les Oasis. Phan, en tant que sujet légèrement atteint, mais tout de même trop pour effectuer le voyage de retour, est laissée aux gens de l’Extérieur pour des soins et des observations, tandis que ses compagnons de mission repartent vers les Triumvirats afin d’entamer les négociations… même si des questions d’ordre éthique les tourmentent. Peuvent-ils vraiment sacrifier leurs malades au nom du bien commun ?
Un tel questionnement, en ces temps de pandémie, tombe à point nommé et ne laissera nul lecteur indifférent !
Cependant, Phan découvrira peu à peu que les Extérieurs ne forment pas un bloc monolithique et qu’il pourrait y avoir d’autres solutions à leur problème. Une deuxième faction propose de réparer les machines, toujours en échange des Hallucins, tandis qu’une autre semble beaucoup moins exigeante, mais peut-être y a-t-il anguille sous roche… Tandis que Phan est ballottée d’une faction à l’autre, la révolte gronde dans les Oasis et le lecteur se demande bien comment tout cela se conclura.
C’est d’ailleurs la seule interrogation qu’il lui restera, car tout le reste de l’univers du roman – l’apparence des personnages, les us et coutumes, les vêtements, les repas, les bâtiments – est décrit avec un luxe de détail… qui en devient parfois un peu fastidieux. L’intrigue se fraie lentement un chemin parmi leurs méandres et il faut un temps pour s’habituer à ce rythme lent qui rebutera, je le crains, quelques lecteurs. Consolons-nous en pensant que c’est un rythme semblable, sans doute, au rythme des pas d’une messagère dans les sables friables du désert !
Geneviève BLOUIN