Lili Boisvert, Le Prince (Anan -1) (Fy)
Lili Boisvert
Le Prince (Anan – 1)
Montréal, VLB, 2020, 376 p.
Quelques semaines à peine après le début du déconfinement au Québec est paru le premier tome d’une trilogie de fantasy publiée chez VLB éditeur et écrite par Lili Boisvert, journaliste, animatrice et essayiste remarquée. Le Prince, premier volume de la trilogie Anan, a ainsi pour décor un royaume, nommé Anan, dont l’État matriarcal assure la prospérité de son peuple. Rien ne saurait toutefois être parfait dans un monde où la violence continue de faire loi : pour le royaume d’Anan, il est devenu primordial de sceller une alliance avec son royaume rival afin d’éviter une guerre dévastatrice. Pour ce faire, la reine d’Anan doit offrir la main de son fils. La route vers ce mariage ne se révèle pas sans heurt, car pour se rendre au royaume rival, le groupe de militaires chargés de protéger le prince doit traverser une forêt que l’on dit régie par des cannibales. Chaolih, capitaine de la protection rapprochée du prince, choisit de mettre sa vie et son passé de côté pour le bien de son peuple et de sa reine. L’issue du voyage n’est toutefois pas aisée, car Keyo, l’ancien esclave mi-cannibale récupéré par Chaolih afin de les guider dans la forêt de ses semblables, joue dans deux camps à la fois…
Force est d’admettre que Lili Boisvert sait raconter une histoire haletante qui, par moments, propose son lot de réflexions. Bien qu’il s’agisse d’un premier roman pour l’auteure, on sent déjà tout le potentiel de cette histoire aux personnages plus vrais que nature. Ainsi, Chaolih et Keyo se démarquent par leur personnalité unique bien esquissée. Alors que Chaolih s’avère frigide mais juste, Keyo représente son entière opposée en n’hésitant pas à faire appel à la trahison pour être accepté par deux peuples au style de vie aux antipodes. Keyo est d’ailleurs, à mon avis, le personnage le plus intéressant et le plus fouillé du roman : à la fois humain et cannibale, il tente de trouver son identité chez ces deux peuples. On peut y voir ici une réflexion pertinente sur l’appartenance culturelle et l’ostracisation créée par le simple fait d’appartenir à plus d’une culture.
C’est d’ailleurs ce que l’auteure réussit le mieux dans cette œuvre, soit défaire les stéréotypes. Bien que la progression de l’intrigue se révèle somme toute classique, le roman s’attarde à déconstruire les stéréotypes de genre qu’utilise trop souvent ce type d’histoire. Les hommes occupent ici le rôle que l’on donnait jusqu’à tout récemment aux personnages féminins des romans de fantasy, soit celui de demoiselle en détresse, de femme fatale ou de faire-valoir au héros. Ici, ce sont plutôt les femmes qui ont le pouvoir ; les hommes, quant à eux, dépendent des femmes. Mais Lili Boisvert ne fait pas que déconstruire ces stéréotypes : elle les remet en question en faisant en sorte que ses personnages, féminins et masculins, se demandent si le rôle qu’ils occupent est bien celui qui leur sied. Ce sont les clichés eux-mêmes de ce genre qu’elle remet en question. Nous avons donc droit à de la fantasy intelligente et pertinente.
On pourra toutefois reprocher un trop grand nombre de personnages (il nous faudrait un glossaire pour se rappeler de chacun d’eux), dont la plupart jouent un rôle très secondaire. Le lecteur s’y perd un peu, d’autant plus que le premier personnage rencontré, Chaolih, est loin de nous apparaître sympathique au début. Selon moi, l’œuvre aurait mérité d’être resserrée sur ce plan afin de rythmer davantage l’intrigue. Par ailleurs, le déroulement de cette dernière est assez classique : Chaolih doit accomplir une quête et, pour ce faire, se trouve des alliés pour l’accompagner dans cette mission suicide.
En résumé, nous avons là un premier tome de trilogie globalement réussi, en particulier pour une première œuvre de fiction. Je le réserverais cependant aux non-initiés à la fantasy, car même si les réflexions que l’auteure propose s’avèrent pertinentes, l’intrigue suit un schéma très classique. Il s’agit d’un excellent point de départ pour qui souhaite découvrir ce genre qui a tant à offrir. Le potentiel est là, et je ne serais pas surpris que l’auteure rebatte les cartes et sorte des sentiers battus pour le prochain tome.
Mathieu ARÈS