Magali Laurent, Rupture (Demi-vie -1) (SF)
Magali Laurent
Rupture (Demi-vie -1)
Boucherville, De Mortagne, 2020, 354 p.
Depuis la parution et la montée en popularité de la trilogie Hunger Games, de Suzanne Collins, les dystopies ont la cote chez les jeunes. La plupart des œuvres de ce genre reprennent cependant certains codes sans même chercher à y apporter une touche d’originalité (triangle amoureux, régime totalitaire ou dictatorial, adolescente comme figure d’une révolution à venir, etc.). Il y en a aussi qui reprennent certains de ces codes et déjouent les attentes des lecteurs en essayant d’offrir un peu d’originalité. Rupture, premier volume de la trilogie Demi-vie de Magali Laurent, appartient heureusement à cette deuxième catégorie.
Dans un avenir perturbé par le réchauffement climatique et d’autres problèmes sociaux à l’échelle planétaire, les instances gouvernementales ont décidé d’élaborer une cité exemplaire, la Nouvelle Cité mondiale, qui vise à donner un répit à la planète. Ses habitants vivront dorénavant une demi-vie : un mois d’éveil pour un mois de sommeil. Dans cette cité, une fois que les jeunes ont atteint l’âge de seize ans, ils doivent quitter leurs parents et s’installer dans leur nouvelle vie d’adultes. C’est le cas d’Ysia, qui deviendra une Citoyenne à part entière en travaillant au Jardin pendant son mois d’éveil et qui, dans ses temps libres, devra regarder son Clairécran, un appareil qui diffuse des émissions créées dans l’intérêt de la population. Bien vite, Ysia se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond. Son intuition est confirmée le jour où l’un de ses collègues de travail lui interdit de continuer de regarder son Clairécran. Pour survivre, elle n’aura qu’une option : fuir le Jardin ainsi qu’élucider le mystère de l’appareil qui semble s’abreuver aux émotions de la population.
Chaque fois que l’on ouvre un roman de Magali Laurent, on sait que l’on retrouvera des personnages fouillés, un monde riche et inventif, un style simple mais efficace, tout comme une intrigue captivante. Rupture ne fait pas exception, car on dévore ce roman de façon avide. C’est que l’auteure a le sens du rythme : chacune des trois parties du livre pose les bases d’une histoire remplie de promesses. Alors que la première partie nous explique l’arrière-monde de cette cité du futur et nous brosse le portrait des principaux protagonistes (Ysia, tout particulièrement), la deuxième s’attarde à semer le doute chez Ysia comme chez le lecteur quant au bien-fondé de cette nouvelle administration mondiale. La troisième partie (la plus faible, à mon avis) confirme nos intuitions et s’intéresse davantage à l’action qu’à la réflexion. Par ailleurs, les personnages que l’auteure nous présente s’avèrent crédibles, tout comme son arrière-monde, qui, même s’il manque un peu d’originalité, demeure cohérent et sans fioritures, sans parler qu’il entame une réflexion sur l’omniprésence de la technologie dans nos vies. On saluera également la volonté de ne pas intégrer de triangle amoureux (du moins, dans ce tome-ci).
J’ai cependant quelques réserves quant à l’évolution classique de l’intrigue. Alors que le résumé aurait pu laisser présager une histoire de solarpunk qui s’efforce de trouver des solutions à nos problèmes actuels, nous nous retrouvons finalement devant une dystopie de facture somme toute classique dans laquelle une adolescente est appelée à devenir un symbole de rébellion. Le personnage de Driss, pour sa part, n’est pas exploité au maximum de son potentiel, mais la fin nous laisse croire que ce protagoniste aura une plus grande importance par la suite, pour notre plus grand plaisir.
En résumé, avec Rupture, Magali Laurent nous offre une dystopie qui emprunte quelques sentiers battus, mais qui tente de s’en écarter à l’occasion. L’épilogue est, en soi, un bel exemple d’originalité : sans trop en révéler, je peux affirmer que le texte a su de brillante façon s’émanciper du cadre habituel des œuvres de dystopie, soit celui d’une dictature à renverser. On sent que la table est mise pour la suite, et je ne serais pas surpris que l’auteure sache nous surprendre avec les deux tomes suivants.
Mathieu ARÈS