Raphaëlle B. Adam, Servitude (Fa)
Raphaëlle B. Adam
Servitude
Montréal, Triptyque (Satellite), 2020, 217 p.
Avec son recueil de nouvelles Servitude – chroniques d’une ville-mirage, Raphaëlle B. Adam, qui n’est pas inconnue des lecteurs de Solaris, nous entraîne à Riverbrooke, une ville désespérément ordinaire au premier regard. On y trouve une petite salle de spectacle, un café, une librairie indépendante, un centre d’appels qui semble le principal donneur d’ouvrage et un unique psychologue. Pourtant, la banale Riverbrooke semble être l’épicentre de phénomènes étranges. Est-ce que les lieux eux-mêmes sont à blâmer ou alors ce sont les habitants qui sont tous un peu bizarres ?
C’est difficile à dire, car toutes les nouvelles sont racontées d’un point de vue fort et marqué, qui prend le lecteur au piège des perceptions des personnages. C’était l’intention de l’auteure (qui a conçu ce recueil à partir de son mémoire de maîtrise en création littéraire portant sur l’usage du point de vue pour installer l’ambiance fantastique) et c’est bellement réussi.
D’une nouvelle à l’autre, la plume est travaillée sans être précieuse et les voix narratives sont variées, passant de la première à la troisième personne, avec quelques incursions du côté de la deuxième personne, moins usitée mais fort bien maîtrisée. Les récits sont courts, axés sur l’ambiance, et présentent une galerie de personnages bien campés qui visitent tour à tour les mêmes lieux, ce qui crée une unité de lecture. Il n’est pas obligatoire pour moi de trouver un tel fil conducteur dans un recueil de nouvelles, mais j’apprécie grandement lorsqu’il est présent. Surtout que, dans Servitude, plusieurs récits (conformément au projet de l’auteure et comme c’est souvent le cas avec le fantastique « littéraire ») s’arrêtent dès l’instauration de l’ambiance fantastique. L’impression d’inachèvement qui aurait pu en résulter est évitée grâce à leur inclusion dans un tout plus vaste que la somme de ses parties.
Impossible de résumer ici chacune des dix-sept nouvelles du recueil, mais je peux mentionner quelques coups de cœur. En ouverture de l’ouvrage, la nouvelle mouture de « La Maison verte » (déjà publiée dans le numéro 197 de Solaris), une histoire de hantise toute en demi-teintes, m’a séduite. La séduction s’est poursuivie sous un mode plus érotique avec « Le Mensonge », où une femme retrouve la présence de son amoureux défunt. Et quitte à passer pour une fanatique des fantômes, « La Femme qui soupirait » une histoire de divan (!) hanté m’a plu tout autant que la première fois que je l’ai lue… au moment d’en faire une première direction littéraire pour le numéro 49 de Brins d’éternité ! Cette connaissance antérieure du texte m’a permis de mesurer le travail d’édition tout en délicatesse effectué par l’éditeur, Triptyque. Ne vous laissez pas tromper par mes affections personnelles : le recueil ne présente pas seulement des histoires de fantôme. « Voleur », qui prend pour cadre une résidence pour personnes âgées, est un récit horrifique classique, mais traité avec une économie de moyens bienvenue et un personnage central extrêmement sympathique. « Rencontre » et « Erratum obitus » touchent plutôt au thème des univers parallèles. Bref, côté types d’histoires fantastiques, il y en a pour tous les goûts.
Le titre du recueil, Servitude, m’a d’abord laissée songeuse. Je n’en voyais pas trop la pertinence. Jusqu’à ce que je retourne aux définitions du mot : Servitude : état de dépendance totale, de soumission d’une personne. Servitude immobilière : charge imposée à une propriété et qui vous oblige, en tant que propriétaire, à supporter certains usages. Ah ! Voilà, tout s’éclaire : non seulement les personnages de Raphaëlle B. Adam sont totalement soumis à leurs perceptions, mais cela semble l’usage courant à Riverbrooke.
D’ailleurs, je vous invite fortement à visiter la ville, le temps de la lecture du recueil, pour en avoir le cœur net !
Geneviève BLOUIN