Catherine Leroux, L’Avenir (SF)
Catherine Leroux
L’Avenir
Québec, Alto, 2020, 317 p.
Le début de ce nouveau roman de Catherine Leroux est excellent. On suit l’arrivée d’une grand-mère éplorée mais aussi un peu coupable, Gloria, à Fort Détroit, une ville partiellement francophone qui se dresse à la place de Detroit, dans notre trame temporelle. En effet, l’histoire a divergé au XVIIIe siècle et permis à Fort Détroit de demeurer une ville canadienne. Le récit démarre donc sous les traits d’une uchronie.
La fille de Gloria, Judith, est morte assassinée et ses deux petites-filles ont disparu. Petit à petit, la nouvelle venue fait la connaissance des voisins et découvre une agglomération sinistrée rappelant la triste réalité de la ville qui nous est familière par de nombreux reportages. Sauf que les choses se passent un peu plus en français. Leroux a d’ailleurs inventé une parlure détroitfortine qui s’inspire des parlers locaux actuels, du québécois populaire et de l’histoire du français canadien de la région du Détroit, la plus ancienne variété recensée de la langue canadienne-française, grâce au lexique d’un missionnaire du XVIIIe siècle.
L’enquête de Gloria sur les circonstances de la mort de Judith l’amène à s’intéresser aux rumeurs d’enfants errants dans le parc de la rivière Rouge. De fait, la suite du roman se concentre sur une micro-société d’enfants perdus qui ont colonisé les boisés le long de la Rouge. Le changement d’ambiance est proche de la rupture. Si le récit des premiers jours de Gloria à Fort Détroit n’excluait pas un certain lyrisme, on pouvait l’attribuer à la désespérance de l’aïeule craignant le pire pour sa descendance. Leroux nous fait toutefois entrer de plain-pied dans l’univers miraculeux des enfants de Fort Détroit, quelque part entre Sa majesté des mouches et L’Avalée des avalés, avec une touche de merveilleux en prime. Chaque portrait de ces enfants perdus à la Peter Pan est, pris isolément, rendu avec finesse et une grande empathie. L’ensemble de ces aperçus fait basculer l’histoire dans un autre registre. Leroux s’y était déjà essayé dans Le Mur mitoyen (2013), en insérant un récit d’anticipation dans une histoire plus réaliste.
Cette fois, le basculement est plus ambitieux et moins réussi en ce qui me concerne. Les nouveaux personnages sont trop nombreux et trop consciemment typés pour susciter mon intérêt, surtout que Gloria s’éclipse presque entièrement du récit versant dans le réalisme magique.
Une autre grand-mère, celle du grand Gabriel García Márquez, racontait à son petit-fils des histoires comportant des épisodes fantastiques ou invraisemblables en conservant un « visage de brique » parfaitement impassible. C’est cette conviction apparente que García Márquez cherchait à reproduire pour conjuguer la fantaisie et le réalisme, mais Leroux adopte le point de vue des enfants qui deviennent ses personnages et il devient difficile de départager ce qui relève de leur imagination et ce qui n’en relève pas. L’incertitude plane trop longtemps pour retenir pleinement l’attention alors que l’intrigue initiale se dilue.
Le roman se termine sur un grand coup qui fait penser à certaines pages du Borealium tremens de Mathieu Villeneuve. La réalité est débordée une fois pour toutes par le merveilleux et les survivants se retrouvent à cheval sur deux mondes. Entre l’inexplicable et une certaine normalité, Gloria obtient les réponses qu’elle recherchait. Et un autobus tueur incarnant le capitalisme qui profite de la misère des petits en les écrasant sans remords est brûlé dans un accès de liesse collective… L’Avenir est donc un roman ambitieux, qui embrasse à la fois le passé et l’utopie, le fantastique et la dénonciation, pour aménager un espace de liberté propice à une nouvelle respiration.
Jean-Louis TRUDEL