Christian Guay-Poliquin, Les Ombres filantes (SF)
Christian Guay-Poliquin
Les Ombres filantes
Saguenay, La Peuplade, 2021, 335 p.
La saga post-apocalyptique de Guay-Poliquin se poursuit avec ce troisième volume, et la fin du livre laisse la porte grande ouverte à une suite. Dans les volumes précédents, le narrateur était revenu au pays de son enfance d’un exil en Alberta pour le travail et un accident de voiture l’avait forcé à passer le gros de l’hiver subséquent alité pour se remettre, tandis que le reste du pays sombrait dans le désordre.
La mort du père avait plané sur le premier tome, Le Fil des kilomètres, et le protagoniste avait noué une relation presque filiale avec son compagnon d’encabanement dans le deuxième tome, Le Poids de la neige. Dans ce troisième tome, le narrateur a quitté le village où il s’était réfugié pour gagner le chalet où il s’attend à retrouver ce qui reste de sa famille. En chemin, il est rejoint par un jeune garçon perdu dans les bois, qui va devenir quelque chose comme un fils d’adoption. Olio, ce fils de rencontre, est un enfant à la fois attendrissant et exaspérant d’indocilité… un enfant, quoi ! Mais il fournit à son protecteur bien plus qu’une aide parfois précieuse pour sa survie : une raison de vivre.
Chez Guay-Poliquin, l’apocalypse est le résultat d’une panne générale, semble-t-il. (Si on peut se fier à la datation d’un dimanche, cela pourrait remonter à 2015, 2020 ou 2026.) Par conséquent, il n’y a pas eu de dépeuplement massif, comme dans Après de Charland, et même la forêt semble grouiller de monde puisque les habitants des villes ont sans doute dû se disperser à la grandeur du territoire pour survivre. Néanmoins, même le retour à la vie rurale d’antan exige des ressources extérieures et le clan familial du narrateur troque de la viande d’original pour des denrées de première nécessité, jusqu’à ce que les orignaux commencent à manquer, sans doute chassés à outrance.
Chacun des volumes de la série reprend des éléments fondamentaux de la vie québécoise, sous une forme épurée par le contexte apocalyptique. La Route dans le premier volume. L’Hiver dans le second. Les Ombres filantes, enfin, se partage entre une traversée de la forêt (gaspésienne ?) et un séjour en famille qui renoue avec l’autarcie champêtre dans le style de Maria Chapdelaine. Guay-Poliquin signe de belles pages sur la progression du narrateur dans la forêt, mais il peine lui-même à renouveler le thème, si bien que l’histoire se transforme rapidement en une série de rencontres avec des survivants éparpillés en pleine nature, les uns hostiles et dangereux, les autres plus accueillants. Après la Forêt et la Famille, la relation aux Étrangers est sans doute le troisième axe archétypal de ce volume. Tout cela ne renouvelle rien (et le lien noué avec Olio rappelle un peu The Road de McCarthy), mais on peut aussi y discerner une relecture profondément québécoise des thèmes post-apocalyptiques habituels. Même le débat esquissé entre chasseurs et agriculteurs renvoie à de vieilles oppositions.
C’est la forme du roman que l’auteur soigne particulièrement. Les répliques sont intégrées au texte, sans être signalées par des signes de ponctuation. Ce procédé qui pourrait engendrer une certaine monotonie ajoute au réalisme de l’évocation d’un monde contraint à la simplicité. Chacune des parties du livre (« La forêt », « La famille » et « Le ciel ») est préfacée par une invocation poétique. Dans les deux premières, les chapitres sont rattachés au passage du temps par des vestiges de l’ancien monde, soit la montre du narrateur et un vieux calendrier. Et le sort d’Olio est annoncé par un rappel de l’histoire de la chèvre de M. Séguin, longtemps auparavant. Guay-Poliquin n’en fait pas trop, mais il en fait juste assez pour que son récit très linéaire évite de verser dans la redite.
Jean-Louis TRUDEL