Daniel D. Jacques, California Dream (SF)
Daniel D. Jacques
California Dream
Montréal, Liber, 2021, 140 p.
L’ouvrage surprend. Il a peu de prédécesseurs au Canada francophone. Et il démontre une assurance narrative et une maturité dans l’expression quelque peu inattendues chez un auteur qui a surtout (sinon exclusivement) signé des essais.
Mais s’agit-il de fiction ? Dans ce recueil sous-titré « Contes posthumanistes à l’usage des enfants de l’avenir », l’auteur et philosophe québécois Daniel D. Jacques explore l’avènement futur d’une posthumanité. Il signe les fragments d’une fresque s’étalant sur de nombreuses années, jusqu’à un avenir où l’humanité n’est plus constituée que d’esprits désincarnés existant grâce à des supports cybernétiques. Rien de très neuf, à plusieurs égards, même en ne remontant qu’à Greg Egan.
L’auteur a toutefois donné à cette fresque historique la forme d’une série de méditations sur des destins individuels, pigés dans des archives numériques accessibles à des intelligences du futur lointain. Le ton est donc celui de l’archiviste ou de l’historien beaucoup plus que celui du romancier ou du nouvelliste. Si quelques textes ébauchent des histoires, la plupart ressemblent en fin de compte à des études de cas qui n’hésitent pas à citer des articles de loi et des décisions juridiques. Les personnages n’apparaissent que par intermittences, sans avoir l’occasion de prendre vie ou d’arriver au bout de leur trajectoire.
Les nouvelles composant le recueil illustrent une évolution compréhensible. Afin de déjouer la maladie ou la mort, des particuliers intègrent leur cerveau à des machines. L’opération profite d’abord aux plus riches, mais elle intéresse aussi ceux qui veulent changer de vie en se dotant d’un corps cyborg. Quand ces corps de synthèse acquièrent des organes génitaux, leur attrait augmente et les gouvernements du monde se voient peu à peu forcés d’offrir à tous la possibilité d’avoir un corps plus résistant et plus durable, éternellement jeune. Les limites sautent les unes après les autres, jusqu’à ce que les cyborgs jouissent non seulement d’avantages individuels mais aussi de la supériorité du nombre. La grande transformation de l’humanité s’achève.
La posthumanité retient l’attention des créateurs québécois depuis quelques années déjà, y compris au théâtre. Par rapport à la vogue du cyberpunk de la fin du XXe siècle, il s’agit d’un regain d’intérêt pour les séductions et les dangers de l’abandon de l’incarnation charnelle. Jacques ajoute à cette courte liste un ouvrage d’une écriture impeccable et d’une grande lucidité, mais qui sacrifie à la création d’une fresque presque tout ce qui aurait fait l’intérêt romanesque des histoires individuelles.
Jean-Louis TRUDEL