Marie-Josée Martin, L’Ordre et la doctrine (Après Massala -1) (SF)
Marie-Josée Martin
L’Ordre et la doctrine (Après Massāla -1)
Sudbury, Prise de parole (Roman), 2021, 328 p.
Après la Draille, effondrement de notre société actuelle, une nouvelle civilisation, matriarcale et visant la stabilité et l’équité, est née. La population est regroupée en communes qui s’occupent chacune d’un aspect de la vie publique, de la production agricole aux services de police. Les mères sont dans un monde à part et seul un petit nombre de femmes mettent au monde des enfants, dédiant leur vie à cette tâche. C’est dans cet univers qu’évoluent une jeune fille qui vient d’avoir ses premières règles et fait son entrée au nubiliat, un délégataire du gouvernement qui est tenté par une société secrète inspirée par le passé misogyne et un inspecteur qui enquête sur un curieux vol d’antiquités.
Les romans mettant en scène une société matriarcale ont été nombreux, mais celui-ci se démarque par un travail très important fait sur la langue pour la dégenrer dans tous les éléments qui sont relatifs aux individus. On ne dit pas quelqu’un, mais quelqu’ène par exemple, tant au féminin qu’au masculin et soé et moé au lieu de son/sa et mon/ma. Ce qui pourrait franchement être désagréable coule parfaitement et l’on se surprend après quelques pages seulement à s’y habituer. Un résumé expliquant les différences avec le français actuel est fourni en fin de livre, comme s’il était un document linguistique contemporain à l’intrigue, ce qui m’a fait sourire : tout le livre est pensé comme appartenant à une autre époque que la nôtre. Par contre, qui dit univers futuriste dit nouveau vocabulaire et malheureusement, toutes les définitions sont rassemblées en fin de livre au lieu de notes de bas de pages, ce qui veut dire de nombreux allers-retours ennuyeux en cours de lecture.
L’arrière-monde est très riche et très bien défini. De l’enfance à l’arrivée à l’âge adulte, on peut suivre le parcours des individus et chaque étape, bien que parfois simplement évoquée, est clairement ancrée dans un contexte plus large. L’autrice y montre une société entièrement remodelée, où la famille nucléaire n’est plus et où la reproduction et la vie de couple sont clairement séparées. Par contre, la vie communautaire prend une place importante. Tout le monde fait partie d’une commune et les noms de famille des individus en sont issus, ce qui indique à la fois leurs origines et leurs appartenances.
Les trois personnages principaux évoluent de manière complètement indépendante, mais par des moyens détournés, l’autrice nous montre qu’ils sont liés à divers niveaux. Il est d’ailleurs clair à un moment que si leurs histoires commencent au même moment, leurs lignes chronologiques sont distinctes. Les chapitres alternent entre les points de vue de chacun d’eux et permettent de voir les différents éléments de cet univers dont l’arrière-monde est richement construit. J’ai particulièrement aimé Manouwane la nubile, qui suit les rites de la féminité. L’importance accordée au sang et au cycle menstruel surprend, mais c’est parfaitement intégré au récit. Rémi Odomaki, le délégataire pris dans un engrenage qui le pousse vers une société secrète basée sur des valeurs masculinistes, est lui aussi intéressant dans ses doutes et ses questionnements par rapport à la société où il vit et à ce qu’il désire vraiment comme individu.
Le style de l’autrice est agréable, sans être toutefois révolutionnaire. Elle raconte bien, nous emporte dans son histoire et sait la rendre intéressante. Ce premier tome est réussi, quoique la plupart des intrigues ne se concluent pas vraiment, laissant penser que c’est le genre de série qui se voit comme un tout séparé en tomes et non chaque livre comme une entité en lui-même. Ce n’est pas trop agaçant, mais ça donne sérieusement envie de lire la suite.
Mariane CAYER