Vic Verdier, L’Empire bleu sang (SF)
Vic Verdier
L’Empire bleu sang
Lévis, Alire (GF 95), 2021, 244 p.
L’uchronie québécoise est rarement aussi mouvementée ou sanguinolente que dans ce roman de Simon-Pierre Pouliot, alias Vic Verdier. Sorti en 2014, L’Empire bleu sang avait obtenu le prix Jacques-Brossard l’année suivante, en partie pour sa description d’une cité-État de Québec devenue une puissance mondiale grâce à ses mines de diamants bleus exploitées depuis le XVIIe siècle.
Cette deuxième édition du roman ne présente, à première vue, qu’assez peu de changements par rapport à la première édition. J’ai repéré un chapitre qui a changé de place et quelques révisions stylistiques, mais l’ensemble ne porte pas à conséquence.
Les premiers chapitres sont consacrés à la mise en place de ce Québec uchronique. Même si l’intrigue principale se déroule en 1887, plusieurs chapitres laissent entrevoir le Québec de 1987. En quelques pages, l’auteur aligne une série d’explications, quelques gags et beaucoup de clins d’œil. Des personnages mineurs s’appellent donc Pouliot et Verdier. Quant au premier homme sur la Lune, c’est un Québécois du nom de Nil Brasfort.
L’action démarre avec l’irruption d’un protagoniste affamé de vengeance, Victor Notre-Dame. La science pervertie du docteur Rauméo (anagramme de Moreau) l’a doté d’une force herculéenne et d’une résistance surhumaine. Il retourne dans sa ville natale dont les élites catholiques veulent se servir de lui pour arriver à leurs fins, mais il a ses propres projets.
C’est quelque chose comme la moitié d’un grand roman. Plus grand que nature, Victor est un superhéros, un comte de Monte-Cristo aussi implacable que l’original, mais il lui manque un antagoniste de la même envergure. Le Vrai Messie et la secte des Crucifiés font certes régner la terreur à Québec, mais ils semblent bien dépourvus quand Victor débarque. De plus, les scènes situées en 1987 confirment dès le début du livre que Victor a été victorieux, si bien que sa lutte n’engendre qu’une tension dramatique relative. Malgré le relief que prennent les affrontements en 1887, ils apparaissent presque comme des incidents dans l’histoire de la glorieuse cité-État.
L’intérêt de l’action se trouve plutôt du côté de la cruauté exacerbée des adversaires en présence. Les combats sont fréquents et d’une rare violence. Victor Notre-Dame n’épargne presque personne. Les épisodes rappellent plus les péripéties d’une BD dans la veine creusée par Frank Miller que l’écriture pondérée d’un roman d’Alire comme Mirage de Lepire. Comme si l’auteur craignait d’ennuyer, il privilégie les chapitres courts et pimente aussi le roman de quelques morceaux de bravoure graveleux.
Le steampunk a quelques antécédents au Canada francophone, mais l’uchronie proposée par Pouliot rend tout d’abord un hommage appuyé à L’Île du docteur Moreau de H. G. Wells. Comme dans L’Avenir de Catherine Leroux, on discerne en filigrane une nostalgie de ce qui aurait pu être, c’est-à-dire un destin plus grandiose pour les francophones d’Amérique, mais le portrait est si outré qu’il tient moins de l’hypothèse historique que du fantasme.
Les uchronies sont parfois des rêves. L’uchronie fondatrice de Renouvier révisait l’histoire de l’Occident pour la rendre utopique. D’autres sont des avertissements et le roman dresse un portrait inquiétant de la mégalopole québécoise devenue une superpuissance. Même si elle est plus avancée scientifiquement, la société québécoise entretient les inégalités de richesse et de pouvoir. Et ses savants n’hésitent pas à hybrider animaux et humains, ou animaux et machines. Dans un roman rarement nuancé, c’est l’uchronie même qui est en fin de compte la plus belle création de Verdier.
Jean-Louis TRUDEL