Fiction 18 (nouvelle série)
Fiction 18 (nouvelle série)
Lyon, Les Moutons électriques, printemps 2014, 272 p.
Nouvelle présentation pour ce numéro sous-titré « La revue qui défie la gravité » (au propre comme au figuré, prétend la rédaction dans l’éditorial). La troisième et la plus complète : changement de format et de maquette, quadrichromie en pages intérieures (presque en même temps que Solaris). Le résultat contraste avec la sévérité outrée des précédents. Il est cependant dommage que le même dessin ouvre chaque nouvelle et que les illustrations variées soient réservées à la partie rédactionnelle et au portfolio. Fiction passe de semestriel à quadrimestriel et a peut-être achevé ce à quoi elle tendait : une prestigieuse revue de bibliothèque. Enfin, le prix a baissé.
Contrairement à ses concurrentes, Fiction entame son sommaire par la partie rédactionnelle. Autre innovation : deux entrevues d’un auteur par un autre qui virent à un échange de points de vue. Questionné par Ayerdhal, Norman Spinrad, écrivain engagé selon ses propres termes, explicite la portée philosophique, politique et esthétique de son œuvre, le contexte où elle a été écrite et les problèmes avec l’édition et la situation françaises comme états-uniennes. Justine Niogret et Jean-Philippe Jaworski confrontent leurs rapports au celticisme, à l’archéologie et à la Fantasy. Ici, il est difficile de discerner qui questionne qui et le résultat n’en est que plus vivant.
Hélas, les rubriques sont bien moins réussies, par manque de développement. « Des Nouvelles du futur » de Nicolas Nova, sur les technologies de vision artificielle, « Les Mains dans le cambouis, la tête dans les étoiles » d’Alex Nikolavitch, sur les mutants, et « Passerelles » de Julie Proust Tanguy, sur le thème du labyrinthe, pourraient être intéressants s’ils offraient mieux que des pistes. C’est de l’élégant (?) badinage. Et ne parlons pas du portfolio, hors sujet dans une revue de SF et de fantastique. La rédaction a-t-elle voulu ouvrir l’esprit de ses lecteurs au monde passionnant de la photographie ? N’importe quelle plage leur offrira la vue des mêmes semi-nudités.
Il est permis de s’interroger sur l’utilité publicitaire d’un extrait d’un récent roman de Robin Hobb et Steven Brust. Dédié à Jack Vance, « Les Djinns funèbres » de Timothée Rey est un planet-opera sophistiqué et non dépourvu d’humour, meilleur qu’un pastiche servile. « Trajectoire » (« ArcÉ ») de Ken Liu joue subtilement sur l’opposition entre l’immortalité et un procédé de conservation des cadavres dans la carrière d’une femme future. « Quatre cents millions d’années de réflexion » (« The 400-Million-Year-Itch ») de Steven Utley est une évocation un peu morne sur le tourisme temporel au paléozoïque. C’est – peut-être heureusement – la dernière d’une série de nouvelles.
Vu son futur un peu vague, Estelle Faye aurait dû développer son « Gipsy Nuke », mésaventure d’un de ces gitans tolérés dans la mesure où ils acceptent de réparer les centrales nucléaires indûment prolongées. « La Rive d’en face » (« The Far Shore ») d’Elizabeth Hand est une poignante histoire d’amour homosexuel entre un cygne-garou et un humain qui adopte sa mutation. « Pique-nique à Pentecôte » (« Picnic on Pentecost ») de Rand B. Lee est un poème en prose où quatre naufragés sont transformés pour s’adapter à une planète. « L’Éternité dure longtemps » de Sonia Quémener expose avec humour la vie des fantômes et se demande pourquoi ils butent sur le manteau terrestre.
Vaut-il la peine de mentionner les trois dernières nouvelles ? La sélection anglo-saxonne laisse parfois sceptique, contrairement à l’apport français, plus qu’honorable. Déplorons aussi que ce numéro ait multiplié les textes courts alors qu’aurait pu y trouver sa place au moins un de ces courts romans bien développés que propose l’édition états-unienne et que la maquette laisse beaucoup d’espace vierge. Mais, c’est bien connu, ce métrage est mal aimé des périodiques francophones de SF. L’innovation serait sans doute trop criante pour cette nouvelle formule, si dynamique soit-elle. Peut-être trop sophistiquée, celle-ci s’adresse plutôt à des esthètes du genre.
Jean-Pierre LAIGLE