Réjouissez-vous, de Steven Erikson (SF)
Steven Erikson
Nantes, L’Atalante (La Dentelle du cygne), 2019, 506 p.
Réjouissez-vous ! Toutes nos souffrances tirent à leur fin. Les coupes à blanc dans l’Amazonie viennent d’être stoppées net. Les poissons passent au travers des filets des pêcheurs industriels. Les troupeaux de bisons, élevés pour leur viande musquée, ont recouvré leur liberté et reconquièrent les plaines américaines. Les armes à feu font autant de dommage que des fusils jouets. Les femmes battues peuvent quitter leurs bourreaux sans craindre d’y laisser la vie. Les coups, les meurtres, les viols ressemblent chaque jour davantage à des cauchemars dont nous nous sommes enfin réveillés. Le sang sera bientôt un lointain souvenir. La paix vient d’arriver sur Terre.
Serait-ce une utopie que nous propose Steven Erikson ? L’espoir d’un avenir heureux pour l’humanité qui s’entre-déchire et notre planète au bord de l’implosion ? Pourtant, ce futur idéal n’est point né de la volonté d’un gouvernement élitiste comme l’écrivait Platon dans sa République et ne concerne pas seulement un pan privilégié de la race humaine. Dans Réjouissez-vous, l’utopie tombe sur l’ensemble des Terriens sans qu’ils s’y attendent, comme quelque catastrophe naturelle impossible. Du jour au lendemain, les forêts, les jungles et les océans se voient protéger d’un champ de force qui empêche l’exploitation des ressources. Non content de réprimer l’industrie, ce champ de force, que l’on ne peut que qualifier d’intelligent, annihile toutes formes de violence entre les êtres humains. Notre colère, notre haine, notre brutalité se retrouvent ainsi privées d’un de leurs principaux exutoires : l’agression.
Pour Erikson, l’utopie, la paix universelle qu’elle apporte ne peut qu’être imposée à l’humanité. Et certainement pas par d’autres humains, et encore moins par un gouvernement. L’optimisme que l’on ressent initialement en découvrant les populations du globe lentement tirées vers la lumière cache une vérité beaucoup plus sombre. Sans l’intervention d’une main céleste, presque divine, nous sommes condamnés. Ici, ce sont trois civilisations extraterrestres, possédant un savoir et une technologie incommensurables, qui se proposent de sauver la Terre et, accessoirement, notre espèce. La plupart des personnages se méfient de l’ingérence d’E.T. Certains la perçoivent comme une atteinte fondamentale à leur libre arbitre. D’autres cherchent des manières d’en tirer profit. Les instances de pouvoir se retrouvent paralysées. Incapables d’avancer dans un monde où le capitalisme fait naufrage.
L’humain ne serait ainsi qu’un enfant turbulent, condamné au suicide s’il n’est pas dirigé par une main de fer et surveillé par un œil omnipotent. Si ce constat semble vraisemblable en regard de la folie de nos politiciens et des catastrophes écologiques, toujours plus nombreuses et dévastatrices, sa mise en texte souffre de certaines longueurs et incohérences. En tentant de dresser le portrait d’une multitude de personnages, Erikson reste à la surface de leur psyché : nous n’avons pas accès à leurs véritables émotions, celles qui les rendraient vraiment vivants, qui nous feraient momentanément oublier qu’ils ne sont que des êtres de papier. La majorité des protagonistes connaissent une évolution psychologique similaire, passant par l’incrédulité première, l’incompréhension et un profond sentiment d’impuissance. Vient le regret du passé, voire une froide colère devant ce nouveau monde. Ne trouvant pas de défouloir, la rage se transforme en ennui, l’homme ne sachant pas comment vivre s’il n’a pas à travailler pour gagner son pain. S’ensuit un éveil spirituel, qui permettra même aux batteurs de femme et aux meurtriers de trouver la paix intérieure, d’apaiser l’enfant en larmes qu’ils portent en eux. La lecture devient rapidement lourde, comme si on lisait dix fois la même histoire.
Luttant déjà contre l’ennui qui nous envahit au fil des pages, nous peinerons parfois à nous immerger pleinement dans le monde construit par Erikson. Si, dans le pacte de lecture que nous passons avec l’auteur, nous acceptons de bonne foi l’intrusion des extraterrestres dans nos existences, il est parfois difficile de croire entièrement à leur omniscience. Devant les champs de force, l’intelligence artificielle quantique et la génération spontanée de bâtiments gigantesques, les explications données restent bien sommaires. En essayant de décrire l’ampleur de la transformation vécue par l’espèce humaine, l’auteur confond à certains moments la quantité d’informations avec la qualité. C’est un futur bien prometteur que celui dans lequel la famine a été vaincue et dans lequel les maladies disparaissent, mais sans vraisemblance, nous ne pouvons que le qualifier d’utopiste.
Avec ses nombreuses références intertextuelles, Réjouissez-vousn’est cependant pas sans nous arracher un sourire, à nous, fans de science-fiction. K. Dick, Asimov, Le Guin et les autres ne semblent pas bien loin derrière des auteurs fictifs comme Samantha August et Ronald Carpenter. Les bons vieux space operas ne sont pas oubliés, avec Star Trek à l’avant-plan. Mais Erikson ne se contente pas de rendre hommage à la SF ; il l’érige sur un piédestal. Tout au long du roman, les auteurs de SF apparaissent comme les esprits les plus éclairés ; les sages vers lesquels se tourner pour comprendre les projets d’E.T. et comment s’adapter à l’Éden qui nous a été offert. Ce n’est d’ailleurs pas un astronaute, un médecin ou un président que les extraterrestres ont choisi comme porte-parole. Non, c’est une écrivaine canadienne de science-fiction sociale, féministe qui plus est.
Et ça, ça mérite qu’on se réjouisse.
Anaïs PAQUIN