La Forêt des araignées tristes, de Colin Heine (SF)
Colin Heine
La Forêt des araignées tristes
Chambéry, ActuSF (Les Trois Souhaits), 2019, 488 p.
J’ai une confession à faire : je lis rarement de mauvais livres. Pourquoi ? Parce que chaque fois que j’aborde un nouveau livre, j’ai une raison de le faire. Soit je connais l’auteur, soit on me l’a conseillé, soit la thématique me rejoint… Lorsque j’ai reçu La Forêt des araignées tristes, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une erreur. Avant d’écrire au coordonnateur de Solaris pour le lui faire remarquer, je suis allé voir mes courriels envoyés. Et, oui, j’avais bien demandé ce livre. Pourtant, encore maintenant, je n’en ai aucun souvenir. Est-ce le titre poétique qui m’a intrigué ? La superbe couverture ? La thématique steampunk ? Aucune idée.
Cela dit, je vous rappelle que j’ai dit d’entrée de jeu que je lis rarement de mauvais livres… et le roman de Colin Heine ne fait pas exception.
Ce roman, le premier de l’auteur Colin Heine, fait partie des pépites de l’Imaginaire 2019 avec Chevauche-brumes de Thibaud Latil-Nicola (Mnémos) et Opérations Jabberwock de Nicolas Texier (Moutons Électriques).
L’auteur, un Français qui vit maintenant en Autriche où il enseigne l’allemand, provient du jeu de rôle et cela paraît dans ce premier roman. En effet, on voit le souci du détail dans la création de cet univers riche. L’action se déroule dans un monde englouti par la vape, un brouillard mystérieux aux propriétés presque magiques, à la fois source d’ennuis et de pouvoirs. Des créatures étranges y prennent naissance, la plupart non répertoriée. L’humanité est confinée dans des poches protégées de la vape. La période est propice aux grandes aventures puisque la tension monte entre deux grandes puissances : la Germanie et la Gallande.
Le personnage principal, Bastien, est paléontologue. Il se spécialise dans l’étude des créatures étranges. Issu d’une famille riche, il a un caractère un peu naïf et s’abandonne souvent à l’oisiveté. Seulement, lorsqu’il survit à un attentat qui a les apparences d’un accident, il se retrouve pris dans les engrenages d’une affaire d’espionnage qui le dépasse. Cela l’amène à croiser une société secrète d’Assassins, une agence de détectives aux méthodes douteuses et des créatures cauchemardesques. Le tout dans un monde où le merveilleux fait partie du quotidien avec des machines volantes gigantesques et des gargouilles qui jouent le rôle de taxi.
Il sera appuyé par Ernest, un explorateur, qui effectue des expéditions dans les Vaineterres, des zones perdues dans un océan de vape. Parmi ses alliés, il faut aussi compter sur Agathe, sa domestique et, plus tard, sur Angela, une jeune femme qui a dû quitter la Germanie.
Le livre est séparé en trois sections de longueur similaire. Dans un premier temps, on pose les personnages, on découvre l’univers, on met en place l’intrigue. Cette section regorge de belles trouvailles et de bonnes idées. Par contre, elle pèche par un manque de rythme et par un personnage principal trop mollasson. Heureusement, ses acolytes sont nettement plus actifs et intéressants.
La deuxième partie, clairement la plus intéressante du livre, nous plonge dans l’action. Les nombreux rebondissements tiennent le lecteur en haleine. La motivation de certains personnages (surtout du côté des méchants) est à peine esquissée, pourtant le rythme du récit parvient à faire oublier les quelques défauts de cette section.
Puis arrive la conclusion. Ici, le bât blesse. On a un huis clôt sur le Gigantique, un dirigeable format géant qui est presque une ville en soi. Les retournements de situation sont un peu répétitifs et en deviennent prévisibles et on termine le livre avec beaucoup trop de questions en suspens.
L’auteur a du souffle et de l’ambition. D’ailleurs, c’est peut-être cette ambition qui a un peu plombé ce premier roman. À trop vouloir en faire, il part dans toutes les directions. Il aurait gagné à resserrer son intrigue et à mieux développer ses personnages. Cela dit, j’ai beaucoup aimé ma lecture, car l’auteur a un style fort agréable et efficace avec une dose bienvenue d’humour.
De plus, c’est un univers que j’aimerais revisiter. Il y a plusieurs histoires esquissées – comme la révolte des ouvriers et les conflits politiques – qui pourraient être développées dans une autre œuvre. Il y a aussi les Vaineterres qui mériteraient une exploration plus approfondie.
Au final, si La Forêt des araignées tristes n’est pas un livre parfait – il y en a si peu de toute façon – j’ai pu y découvrir un auteur qui a une voix que j’ai bien hâte de voir s’affiner au fil du temps.
Pierre-Luc LAFRANCE