Éditorial, de Joël Champetier (mai 1990)
Alors que vous êtes sur le point de lire, lisez ou avez peut-être déjà lu Solaris 214 (printemps 2020 – Les Univers de Joël Champetier), nous partageons avec vous aujourd’hui un éditorial bien spécial… et historique. Il y a environ trente ans paraissait le numéro 91 (Mai-Juin 1990) de la revue Solaris, dans lequel Joël Champetier écrivait quelques mots sur son nouveau rôle de directeur littéraire et qui donne un aperçu du milieu de la SFFQ de l’époque aux nouveaux(elles) venu(e) et qui rappelle sans doute bien des souvenirs à ceux et celles qui étaient présent(e)s en 1990.
Éditorial – Directions littéraires
Me voilà donc devenu le troisième directeur littéraire de l’histoire de Solaris. Après Norbert Spehner et Élisabeth Vonarburg, ce sont de bien grands souliers à chausser. À la création de Requiem, en 1974, c’est Norbert Spehner qui tenait le poste. Normal : au début il faisait tout et, ma foi, il ne s’est pas si mal débrouillé puisqu’il nous a fait découvrir les April, Beaulieu, Bélil, Bouchard, Sernine, Dion, Sirois, Vonarburg (je me limite à ceux qui écrivent encore). Ça a duré jusqu’en 1979, année charnière s’il en est une, l’année du premier Boréal (j’y étais !), de la création de Pour ta belle gueule d’ahuri et d’imagine… C’est également l’année où Requiem devenait Solaris.
1979… J’étais bien jeune à l’époque. L’autre jour je feuilletais ce fameux numéro 28, le « premier » Solaris. Ce numéro est depuis longtemps épuisé, je n’en possède qu’un exemplaire, le beau dessin de couverture taché de sauce tomate. Le texte est encore dactylographié sur une « IBM à boules ». Daniel Sernine y publie une courte nouvelle, « Nocturne » (pensez donc, à l’époque Daniel avait déjà publié deux recueils !). On y parle d’un nouvel auteur prometteur : Orson Scott Card. On s’y plaint du prix des tarifs postaux : 17 cents pour une lettre (il y a des choses quine changent pas)… Mais le principal intérêt historique de ce numéro n’est pas le changement de nom, c’est la nomination d’Élisabeth Vonarburg au poste de directrice littéraire, nomination qui allait avoir des conséquences profondes et durables sur l’avenir de la revue et même – n’ayons pas peur des mots – sur l’avenir de la SFQ toute entière.
Il est difficile pour qui n’a jamais travaillé aux côtés d’Élisabeth d’imaginer son dévouement à la cause de la science-fiction québécoise. Sa capacité de travail semble sans limite : ce n’est rien pour elle d’envoyer cinq pages de commentaires à simple interligne à l’auteur d’une nouvelle. À l’époque héroïque où notre composeuse logeait dans ma maison de La Salle, Élisabeth venait à tous les deux mois composer une partie de la revue… de Chicoutimi ! Et je n’ai pas parlé des ateliers d’écriture, de son travail critique et de son travail d’écrivaine !
Bref, oui, ce sont de bien grands souliers. Autant vous prévenir : n’espérez pas autant de dévouement de ma part. Je ne suis qu’humain, moi. Malgré cela, quelles sont donc les raisons qui me valent de succéder à Élisabeth ? Elles sont simples :
Premièrement, j’écris depuis plus de dix ans, donc on peut supposer que je sais un peu de quoi il retourne.
Deuxièmement, je suis à la fois disponible et volontaire, car – dois-je le rappeler ? c’est le bénévolat qui fait vivre la SFQ.
Troisièmement, je ne serai pas seul. Je serai secondé par Francine Pelletier et Guy Sirois, tous deux écrivains, qui liront les textes retenus et m’aideront dans mes suggestions aux écrivains ; car c’est évidemment l’amélioration des textes retenus qui demande le plus du directeur littéraire.
Mais que va-t-on maintenant privilégier dans Solaris ? La science-fiction ? Le fantastique ?
Personnellement, j’aime la variété. Je ne lis pas que de la fiction ; dans ma fiction je ne lis pas que de la SF ; et dans ma SF je ne lis pas qu’un type de SF. Je pense que ce goût personnel prolongera de belle façon la politique d’ouverture de Solaris vis-à-vis de toutes les littératures de l’imaginaire : SF, fantastique, fantasy horreur, insolite, et les mélanges de ces genres.
Mais, me demanderez-vous sournoisement, quels seront les critères de sélection ?
Bonne question. J’ai suivi avec intérêt les discussions sur la direction littéraire et les critères de choix, discussions qui ont débordé dans Solaris, Carfax et les tables rondes des congrès Boréal. Je retiendrai pour ma part cette réflexion de Marc Lemaire, dans Solaris 71, que certaines revues ont avantage à se passer d’un projet littéraire trop strict : nos revues québécoises ne peuvent se permettre de refuser un bon texte parce qu’il ne « cadre » pas. Comme tout le monde, je ne voudrais publier que des textes de très haute tenue capables de rivaliser avec les meilleures réalisations étrangères, sans pour autant renier leur spécificité québécoise. Mais est-ce que les auteurs nous soumettront toutes ces merveilles ? Parce que c’est bien ça le problème : pour publier de bons textes, il faut que quelqu’un A) les écrive et B) nous les soumette.
On aura compris à ce qui précède que je ne considère plus Solaris comme un banc d’essai pour auteur débutant. Ce devoir d’encourager la relève, normal et nécessaire aux débuts de la SFQ, est de moins en moins pertinent avec la présence à nos côtés de Samizdat, Temps Tôt et CSF. Ce qui ne veux pas dire que nous ne voulons plus recevoir de textes de débutants. J’ai la ferme intention, comme le faisait Élisabeth, de répondre à chaque auteur qui soumettra un texte (mais peut-être pas cinq pages à simple interligne…), je veux simplement qu’il soit compris que nous préférons publier peu de bons textes plutôt qu’une grande quantité de textes faibles. Et tant mieux si ce bon texte est l’œuvre d’un débutant !
Mais qu’est-ce que c’est, un « bon texte » ? J’aurais envie de répondre « Un texte bien écrit avec une bonne histoire » mais ce serait repousser d’un cran la définition. Comment répondre sans rappeler qu’en tout art la beauté procède de l’ineffable, et qu’il est moins facile d’identifier ce qui nous plaît que ce qui ne nous plaît pas. On a abondamment glosé sur l’opposition entre la forme et le fond, entre le style et l’histoire, alors que dans mon esprit ce ne sont pas des éléments opposés, qu’il faudrait balancer à la manière du yin et du yang, comme si un style recherché impliquait nécessairement une intrigue médiocre, et vice-versa. Je pense qu’il s’agit d’un faux débat alimenté par une certaine tendance, en SFQ comme ailleurs, à compenser le manque d’imagination par la poudre aux yeux des effets stylistiques. Je confesse mon peu d’intérêt pour ces textes à l’écriture recherchée quand cette écriture n’est pas sous-tendue par une histoire solide ou originale ou prenante ou drôle ou horrible, ou un mélange de ces éléments, ou tous ces éléments ! Je réfléchis moins en termes de forme et de fond qu’en termes de « richesse » et de « pauvreté ». Pour moi, un bon texte est riche, riche dans sa langue, oui, mais également riche en surprises, en action, en symbolisme, en niveaux de lecture, en émotions…
En terminant, un mot au sujet des textes européens : nous allons maintenir notre politique d’en publier peu. Nous ne sommes pas insensibles aux problèmes de nos confrères d’outre-Atlantique – le manque de débouchés pour les nouvelles n’étant pas le moindre – mais les pages de Solaris sont cruellement comptées et le resteront. D’ailleurs, on constatera l’absence de tout dogmatisme à Solaris puisque que nous vous présenterons bientôt un spécial « SF française ».
Eh bien voilà. J’espère m’être fait comprendre. De pied ferme et prêt à tout – et fidèlement secondé par Guy et Francine – j’attends vos textes.
Mai 1990