Andréa Renaud-Simard, Le Livre ardent (SF)
Andréa Renaud-Simard
Le Livre ardent
Montréal, VLB (Imaginaire), 2021, 367 p.
Il y a plus de deux siècles, la reine Astiane, Agnate chassée par les siens et passée du côté des Ardents, a conquis les terres au-delà du désert envahi par la dardasse. Depuis, les Ardents sont adulés par les Agnates et cultivent leurs corps : par manipulation génétique, toutes les formes (cornes, peau de pierre, corps couvert de plumes, etc.) leur sont accessibles. Ils vivent pour être vus et admirés par les Agnats, y trouvant la source de leur ascendant sur ces derniers. Pour maintenir leur statut, les Ardents ont inventé des Jardins pour se faire admirer ainsi qu’un complexe système de quêtes virtuelles auquel jouent les Agnats qui mettent en vedette les spécimens les plus rares des Ardents. Parmi ces derniers, Amira, l’Aînée, descendante de la reine Astiane. Lors d’un attentat, elle est enlevée par des Agnats. Loin du Palais et de sa vie minutieusement planifiée, elle découvre que derrière les vérités officielles se cachent bien des mensonges.
Premier livre publié chez VLB imaginaire, on ne peut qu’espérer que le premier opus donne le ton à la collection : l’intrigue est complexe, le style de l’auteure est magnifique et l’univers riche à souhait. C’est le premier roman publié par Andréa Renaud-Simard (gagnante du prix Solaris en 2017 avec la nouvelle « Les Tisseurs »), un roman qui se révèle ambitieux. En fait, on peut presque lui reprocher d’avoir vu trop grand ! Le roman aborde un grand nombre de thèmes, comme le pouvoir de l’image, la réalité virtuelle, les différences corporelles, les manipulations génétiques et j’en passe. Ce faisant, le roman porte un grand nombre d’idées qui sont toutes aussi intéressantes les unes que les autres, mais pas toutes poussées à leur terme, ce qui est un peu dommage.
Le choix de la narration chorale multiplie les points de vue sur l’intrigue. L’auteure ayant choisi de nous donner un par un et dans le désordre les pièces de son histoire, le livre est un casse-tête que l’on assemble au fil des pages, chaque personnage apportant un angle différent. Décision pertinente, à la fois par l’impossibilité pour un seul personnage de couvrir un univers aussi vaste et aussi par la diversité même de ces personnages. Entre les différences d’espèces, d’origines géographiques, de statut social, de corps et de fonction sociale, il y a une infinité de possibilités que l’auteure explore presque toutes. Cela rend un peu ardu de départager les Ardents des Agnats au départ, même si cela se corrige au fil de la lecture. À cela, il faut ajouter deux lignes temporelles (dont l’une est assurée par un seul personnage) et une inversion des territoires des deux espèces à un moment de l’histoire. Bref, un univers vaste et complexe !
Si au départ l’intrigue peut sembler confuse, il ne faut surtout pas bouder son plaisir, parce qu’au bout d’un certain nombre de pages, on plonge dans cette histoire, tout s’éclaire et les liens subtils mais bien réels entre les différents pans de l’intrigue deviennent évidents. J’ai quelques réserves sur la fin qui m’a parue un peu trop facile, mais rien de majeur.
L’un des objectifs de ce roman semble être de faire éclater les genres de l’imaginaire et c’est assez réussi. Le tout porté par une plume qui est absolument magnifique et un style flirtant par moment avec la poésie. Certes, on est déstabilisé au départ, mais cela fait partie du charme de ce livre un peu inclassable, à cheval entre la science-fiction, la prose poétique et une réflexion très pertinente sur des questions actuelles.
Mariane CAYER