Rémy Gallart et Roland C. Wagner, Le Pacte des esclavagistes (SF)
Rémy Gallart et Roland C. Wagner
Le Pacte des esclavagistes
Bordeaux, Les moutons électriques, 2021, 304 p.
2067, un siècle exactement après le célèbre Summer of love, apogée du mouvement hippie, se répand un nouveau courant largement inspiré de ce dernier. Ses adeptes, les « Mysthiques », adoptent les vêtements en tissus naturels, l’amour libre et vivent en communauté. Même la drogue fait son retour, mais sous une forme différente, l’Expandeur, dont les effets sont inconnus étant donné que pas une seule autorité légitime n’a pu mettre la main sur un échantillon. D’ailleurs, les gouvernements démocratiques ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, démolis de l’intérieur par la corruption. De sa tour d’ivoire new-yorkaise, Anton Dvorak, richissime homme d’affaires narcissique, tire les ficelles à l’aide de ses Kontrats, assassins surentraînés qui ne manquent jamais leur cible. De plus, il contrôle en sous-main certaines des plus puissantes sectes parmi celles qui pullulent sur les cendres des anciennes religions. Avec une planète qui sombre dans le désastre écologique et des millions d’êtres humains qui vivent dans des conditions épouvantables, est-ce que l’idée d’une Ultime communion comme le plaident les Mysthiques pourrait être la solution ?
Il n’y a pas à dire, ce roman a l’art d’accrocher le lecteur. L’histoire débute par une présentation du mouvement Mysthique par un sociologue, Yalmiz le ridicule (à cause de son physique) et l’on pourrait penser dès ce moment que l’intrigue sera un peu docte, mais non, un collègue du professeur de la Sorbonne est assassiné en pleine rue par un Kontrat, juste après leur discussion sur le courant néo-hippie. Cet événement mettra le sociologue en contact avec un inspecteur condamné aux affaires sans importance à cause de son refus de se laisser corrompre et dont l’enquête mènera à rencontrer une galerie de personnages, de tous les milieux et de toutes les origines.
Tous, chacun à leur tour deviennent le narrateur de l’intrigue. Et c’est là à mon avis que le bât blesse : ce livre est une réécriture d’une œuvre parue au début des années 2000, sauf que des incohérences, parfois petites (personnage dont on a dit qu’il était boutonné jusqu’au cou se retrouve avec un décolleté plongeant deux pages plus loin, personne qui s’assoit et qui est debout deux paragraphes après), ou plus grandes (détails du passé des personnages et de leurs motivations), se contredisent d’un segment à l’autre du livre. Cela peut être voulu, parce que les narrateurs ne seraient pas fiables, mais j’en doute. D’autant plus que la quatrième de couverture mentionne que seules les parties de Rémy Gallart ont été réécrites, Roland C. Wagner étant décédé en 2012.
Les personnages ont tous de la profondeur, même si le roman en compte une bonne demi-douzaine. Par contre, il est regrettable de voir les personnages féminins être constamment ramenés à leur physique et à leur potentiel érotique. C’est flagrant quand on compare la longueur des descriptions entre les hommes et les femmes et les détails de leur anatomie sur lesquels les auteurs passent le plus de temps. Cela dit, cela n’a pas un grand impact sur l’intrigue comme telle, parce qu’elles sont toutes douées d’agentivité et ont leurs propres buts.
Le mélange entre le Summer of love et le courant hippie avec un texte de science-fiction tient la route, mais on a surtout retenu les apparences plus que la philosophie du mouvement. Disons que l’amour libre prend plus de place que la critique du capitalisme. Ce qui est regrettable par contre, c’est que l’arrière-monde est plus évoqué que développé. On devine les conditions de vie terribles qu’affrontent certains habitants des pays moins fortunés, tandis que d’autres, bien protégés dans leurs tours d’ivoire, tirent les ficelles du monde. C’est cliché, mais ça ne sonne pas faux pour autant.
Une bonne lecture, dont les pages se laissent facilement tourner, malgré quelques faiblesses et incohérences. Je doute par contre que le livre passe à l’histoire, contrairement au Summer of love.
Mariane CAYER