Robert Marinier, Un conte de l’apocalypse (SF)
Robert Marinier
Un Conte de l’apocalypse
Sudbury, Prise de parole (Théâtre), 2021, 155 p.
Dramaturge et acteur franco-ontarien, Robert Marinier a obtenu en 2022 le Prix Trillium de l’Ontario pour cette pièce de théâtre campée dans un futur proche. Ce prix récompense autant la pièce qu’une carrière dramaturgique de plus de quarante ans. Dans le récit de Marinier, l’aggravation des changements climatiques (la montée des océans, les grandes villes inondées, les sécheresses qui déclenchent des famines) entraîne des conséquences politiques pour le Canada : une faction radicale du parti Vert s’empare du pouvoir et organise la liquidation de tous les coupables, à commencer bien sûr par les militants verts jugés trop tièdes. Parmi ceux-ci, il y a Denis Coudonc, qui anime la résistance au nouveau régime.
Sur scène, l’éclairage révèle le père du rebelle, Guy Coudonc, en train de se demander ce qu’il doit dire puisqu’on attend sans doute de lui un monologue. Conscient qu’il évolue dans une pièce de théâtre, Guy hésite sur son rôle exact : est-il le personnage principal ou n’est-il qu’un personnage secondaire au service de son fils, le chef des rebelles ? Capturé par les sbires du nouveau régime, Guy échappe de peu à la mort grâce à l’intervention des rebelles, ce qui va convaincre ses compagnons miraculés que Guy est le personnage principal qui ne peut pas mourir avant la fin.
Cette démarche quelque peu pirandellienne permet à Guy de jouer avec le quatrième mur et renouvelle l’action de ce qui serait sans cela une pièce de politique-fiction futuriste assez conventionnelle. La conviction naïve de Guy d’être le personnage principal lui attire des disciples et la légende du « personnage principal » contre qui le gouvernement est impuissant se propage dans la population. Il sera même l’objet d’une ultime tentative de récupération par le nouveau pouvoir, assailli par le mécontentement des masses.
La pièce est éminemment politique. Sous le couvert de la fable, l’auteur épingle les manipulations, tractations et tromperies qui accompagnent aussi bien les révolutions que les restaurations. De ce point de vue, le récit fonctionne : il amuse tout en offrant des aperçus caustiques de ces jeux politiques. Par contre, la pièce de Marinier est moins rigoureuse du point de vue de la science-fiction que la pièce Manipuler avec soin de Carolanne Foucher : ici, l’apocalypse climatique est surtout un prétexte. Il n’en est plus question, par exemple, quand Guy Coudonc et ses ouailles créent un hameau agricole florissant dans le Nord canadien, et la référence finale à la catastrophe climatique tient plutôt de la pirouette ironique. Néanmoins, l’ensemble témoigne d’une ambition certaine, qui nous rappelle nos responsabilités à la fois environnementales et citoyennes.
Jean-Louis TRUDEL