Abubakar Adam Ibrahim, Les Arbres qui murmurent (Hy)
Abubakar Adam Ibrahim
Les Arbres qui murmurent
Bordeaux, Les Moutons électriques (Collection Courant alternatif), 2022, 240 p.
La littérature africaine de genre peine à percer, c’est pourquoi j’ai été immédiatement attirée par ce recueil de nouvelles, recommandé par un site de sff français. Première déception : ce ne sont pas toutes les nouvelles qui appartiennent à la littérature de l’imaginaire. Pas que les nouvelles soient mauvaises en soi : au contraire, le recueil au complet vaut la lecture. L’auteur a une plume vive et agile et ses thématiques valent le détour. On prend un grand plaisir à se faire raconter ces histoires se passant dans une réalité si éloignée de celle de la littérature occidentale classique. Mais ne vous attendez pas à ce que toutes les nouvelles aient leur touche de fantastique ou de réalisme magique. Par contre, pour les quelques textes qui plantent leurs pieds dans les genres de l’imaginaire, une autre vision du monde, une autre façon d’appréhender l’univers leur donne une saveur différente et tout à fait exquise.
Une mère qui se réincarne pour dire à son fils qu’elle approuve le choix de sa fiancée. Un homme qui, devenu aveugle, développe une seconde vue qui lui permet de parler aux morts. Une femme qui manipule les hommes et les terrorise avec des visions de son cruel défunt mari. Une sorcière dont les réponses en énigmes peuvent sauver la vie des habitants d’un village, contrairement aux médecins formés à l’occidentale. Dans ces nouvelles, le réel côtoie l’impossible, la réalité n’est jamais qu’à l’épaisseur d’un ongle d’une autre, plongée dans l’onirisme et le mysticisme. La conviction des uns et la peur des autres transforment le monde dans lequel les personnages vivent.
C’est de la société nigériane dont l’auteur parle. Ce n’est mentionné nulle part, mais les traditions et les coutumes sont celles d’un pays musulman. Sans que cela berce toutes les histoires, cette vision du monde, très loin de celle des auteurs occidentaux, donne une saveur différente aux nouvelles. Tout cela sur un fond préislamique qui transpire dans certains rituels, certaines réactions des protagonistes, certaines facettes des histoires. La rationalité dispute le haut du pavé à l’irrationalité, à la magie, au surnaturel.
La nouvelle la plus aboutie au niveau des littératures de l’imaginaire est également celle qui donne son titre au recueil, « Les Arbres qui murmurent ». Ici, le mélange des inspirations est assumé ainsi que l’arc narratif du personnage, qui passe de futur médecin rationnel à aveugle capable de faire le lien entre les morts et les vivants par le biais d’une nouvelle vue. Le surnaturel suit la courbe de l’évolution du personnage. D’abord la colère, ensuite la tristesse, le désir de mourir et cette seconde vie, dont il n’attendait rien, qui le révélera à lui-même. Sceptique au départ, il embrassera sa destinée par petites gouttes, dans un bosquet d’arbres où l’un de ses amis est mort, enfant. Comme un rappel de l’importance de préserver la nature, car elle récèle des mystères auxquels seuls ceux qui sont attentifs ont accès.
La critique sociale est importante tout au long du récit, des abus des uns et du pouvoir de roitelet des autres. Ce n’est en rien pamphlétaire, mais c’est présent, en filigrane, y compris dans les nouvelles plus ancrées dans le genre de l’imaginaire. Ainsi, la sorcellerie peut être à la fois victime et bourreau dans un cycle de traditions trouvant sa source dans des temps immémoriaux. L’important n’est pas ce qu’elle est en elle-même, mais ce qu’elle représente : occasion de richesse facile pour les uns, connaissances empiriques perdues, mais primordiales pour les autres. Entre les deux, l’Occident et sa pensée logique, rationnelle, qui imprègne les esprits mais ne peut répondre à toutes les questions.
Malgré le fait que l’imaginaire n’occupe que le tiers du recueil, la lecture en reste très intéressante, de par les thèmes qu’il aborde et de par la plume de son auteur, qui vaut vraiment le détour.
Mariane Cayer