Walter S. Tevis, L’Homme tombé du ciel (SF)
Walter S. Tevis
L’Homme tombé du ciel
Paris, Éditions Gallmeister, 2022, 274 p.
L’Homme tombé du ciel, publié pour la première fois peu après la crise des missiles de Cuba et dans un contexte de Guerre froide, est un roman mélancolique et pessimiste qui aborde des thèmes comme la solitude et l’anéantissement de l’espèce humaine, rien de moins. Son auteur, américain, est notamment connu pour son roman noir L’Arnaqueur.
Le texte, revu pour cette édition, raconte l’arrivée sur Terre, à bord d’un petit vaisseau, d’un « homme » particulier nommé pour l’occasion Thomas Jerome Newton. Le rapide plongeon dans l’univers du livre donne une orientation claire des événements à venir. En un seul chapitre, le lecteur apprend que Newton a une mission précise, que les richesses qu’il possède ne lui sont d’aucune utilité (il se sert de bagues en or pour obtenir des liquidités en vue de la prochaine étape de son plan!) et qu’il n’est pas tout à fait humain. L’attention est captée en à peine quelques pages.
Alors que les projets de Newton vont bon train et lui permettent de rapidement s’enrichir en vue de progresser dans la réalisation de sa quête, deux autres personnages plutôt importants font leur apparition. D’abord, Nathan Bryce, scientifique las qui découvre un peu par hasard l’une des inventions de Newton sur le marché et qui, atteint d’une vive curiosité, cherche à tout prix à comprendre cette nouvelle technologie qu’il affirme si complexe et si avancée qu’elle provient sans doute d’une autre planète. Et le lecteur le sait, cet intelligent personnage n’est pas du tout loin de la vérité! Vient ensuite Betty Jo, une femme pleine d’une humanité bien modeste qui se retrouve simplement au bon endroit au bon moment et qui a un sérieux penchant pour l’alcool.
Les récits de ces trois protagonistes s’entremêlent tout au long du roman ou empruntent des chemins parallèles. Leur plus grand point commun, cependant, réside dans la solitude qui les habite. La narration, dans une alternance inégale, raconte l’histoire de chacun et permet de plonger au cœur de ce sentiment qui les définit… bien qu’un tout petit peu moins lorsqu’ils sont temporairement réunis. Leur solitude est omniprésente et, même s’il leur arrive parfois de ressentir de la curiosité pour autrui, elle les empêche de créer de véritables liens. En ce qui concerne Newton, elle revêt un caractère existentiel en plus de l’aspect physique.
Mis à part la solitude, plusieurs autres éléments sont « écrasants » pour Thomas Jerome Newton et contribuent à le garder reclus. La gravité terrestre rend tous ses mouvements plus difficiles et limite ses sorties, tandis que son apparence, si particulière et unique, devient le sujet de problèmes. Le projet qu’il doit réaliser, si essentiel pour ceux qui l’ont envoyé sur Terre, se transforme également en une autre source de questionnements et un poids supplémentaire sur ses épaules.
En plus du titre du roman, L’Homme tombé du ciel, l’intitulé explicite de deux des trois parties mentionne Icare, figure de la mythologie grecque, ce qui ne laisse aucun doute quant au destin du personnage principal, et ce avant même que la narration ne commence. Si le protagoniste demeure mystérieux sur certains points, sa fin, elle, est annoncée. Il ne reste plus au lecteur qu’à apprendre comment Newton va dégringoler peu à peu.
Le thème de la chute se retrouve également, en moindres proportions, dans la vision de l’espèce humaine que dépeint l’auteur. Dès lors que le lecteur découvre les réels dessins derrière le projet de Newton et que ce dernier extrapole sur la civilisation de la Terre, il se rend compte que le livre traite aussi de l’anéantissement difficilement évitable de l’humain, notamment en raison de décisions écologiques et politiques (la peur et l’angoisse qu’inspire la guerre au moment de la première parution du roman ne sont d’ailleurs pas étrangères à cette finalité à venir).
Au bout de toutes ces chutes, Thomas Jerome Newton apparaît, en fin de compte, comme le personnage le plus humain du roman. Ses sentiments, ses émotions, ses interrogations et ses intentions sont empreints d’une sincérité toute simple et viennent toucher le lecteur lors de la conclusion du récit.
Émanuelle PELLETIER-GUAY