David Beaudoin, La Signature rouillée (Fa)
David Beaudoin
La Signature rouillée
Montréal, Annika Parance (Coûte que coûte), 2022, 154 p.
Musée Carnavalet, Paris. Un homme vêtu d’une robe de marié appose sa signature à l’encre noire sur la toile Le sauvetage des malades de l’Ancienne Charité, effaçant du même coup celle de l’artiste, un peintre méconnu du nom d’A. Bélanger. Pour réparer les dégâts, la directrice du musée engage Antoine G., restaurateur d’œuvres d’art québécois résidant dans la Ville Lumière. Rapidement, Antoine G. développe une véritable obsession pour le tableau et une de ses protagonistes, une femme en blanc qui semble implorer son aide.
La Signature rouillée, premier roman de David Beaudoin, se situe à la frontière du polar et du récit fantastique. Le restaurateur d’œuvres d’art se métamorphose en enquêteur et cherche à percer les motivations du vandale. Pourquoi altérer une toile peu connue ? Pourquoi attirer précisément l’attention sur la signature d’A. Bélanger ? Pour répondre à ses questions, Antoine G. bascule littéralement dans le tableau et est assailli de visions mettant en scène la femme en blanc. On reconnaît facilement ici l’influence et l’amour de l’auteur pour les récits canoniques du genre – les nouvelles d’Edgar Allan Poe ou de Théophile Gautier, pour ne nommer que celles-là.
La Signature rouillée est un roman que j’aurais réellement souhaité apprécier. L’histoire se veut féministe et expose une diversité de thématiques encore trop peu abordées en littérature fantastique : homosexualité et transsexualité, effacement des femmes artistes, violences misogynes, internement forcé des personnes LGBTQ+. Antoine G. entretient ainsi une relation amoureuse avec un psychiatre, tandis que toute son investigation n’aura finalement pour objectif que de sortir de l’ombre le nom d’A. Belanger – reconnu à tort comme un homme, selon les visions du protagoniste. À travers quelques flash-back, on découvre aussi l’histoire de Zéléma, la grand-mère d’Antoine G, internée par son mari peu après avoir développé une liaison avec une femme au Mexique. Je suis cependant restée sur ma faim de lectrice : une multitude d’histoires tragiques s’entrecroisent et pourtant, je n’ai eu l’impression de n’en vivre aucune de l’intérieur. Le roman reste à la surface des choses, manque d’organicité.
En tant que femme queer, j’ai aussi ressenti un malaise face à certaines descriptions qui me sont apparues parfois maladroites. Le recours au vocabulaire et aux théories psychanalytiques, souvent misogynes, est-il réellement nécessaire pour parler des liens entre folie et orientation sexuelle et/ou identité de genre ? (J’avoue être demeurée dubitative devant l’expression « homosexualité refoulée » et la description d’un sexe féminin dont « l’odeur de mort » […] « semblait tout droit sortie des abysses ».) J’ai parfois été troublée par le regard que pose le roman sur la violence faite aux femmes : « Antoine G. se dit que, si elle avait trouvé la mort de la plus horrible des façons, la femme en blanc avait tout de même réussi à éviter le viol. Son assassinat avait déjà été au-delà de tout ce qu’il pouvait supporter. » Peut-on vraiment mettre deux actes aussi ignobles que le viol et le meurtre sur une balance, et dire que l’absence de l’un rend l’autre plus tolérable ? Je crois que toute hiérarchisation des violences est une pente glissante, qui peut facilement se changer en dévalorisation et incompréhension du ressenti des victimes.
S’il n’évite pas plusieurs écueils, La Signature rouillée a du moins la volonté d’exposer les liens entre art et identité de genre et de dénoncer les horreurs du passé.
Anaïs PAQUIN